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un raisonnement vicieux, ce qu'on appelle un sophisme.

Autant il y a d'espèces de raisonnement, autant il ya de sortes de sophismes possibles. Nous savons déjà combien l'enfant est porté à se laisser prendre aux fausses analogies, les sophismes inductifs et déductifs ne lui sont pas moins naturels.

CHAPITRE III

LES SOPHISMes de l'enfant

Sophismes inductifs de l'enfant : dénombrement imparfait; erreur sur la cause; sophisme de l'accident; exemples. Sophismes de déduction: pétition de principe; - ignorance du sujet; - cercle vicieux;

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de naïveté,

exemples. Leurs causes principales: l'ignorance; erreurs spéciales qui en résultent pour l'enfant erreurs de crédulité, de candeur, de niaiserie; - la précipitation ou l'irréflexion ; —les préjugés d'éducation; -l'association des idées ; la mémoire et l'imagination; le sentiexemples. L'action, libre ou contrariée, de ces causes diversifie la logique naturelle.

ment;

Parce que son expérience manque d'étendue et de variété, et parce que les mêmes causes qui induisent l'homme en erreur agissent sur lui avec plus de force, l'enfant est encore plus exposé que l'adulte à mal raisonner.

Soit qu'il n'observe pas, laissant passer des faits ou des particularités qu'il fallait remarquer, soit qu'il observe mal, prenant un fait pour autre chose que ce qu'il est en réalité, il commet les sophismes d'induclion, désignés par les logiciens sous les noms

de sophisme du dénombrement imparfait, d'erreur sur la cause et de sophisme de l'accident.

Ainsi l'enfant étend à toute une classe d'individus ce qui n'est vrai que d'un ou de quelques-uns, et encore par hasard. Un enfant américain de dix ans, qui avait eu un très petit professeur assez désagréable, alors que son maître préféré était de haute taille, aborda un nouveau professeur, très petit lui aussi, en disant : « Je crains que vous ne soyez un professeur désagréable. » Pour lui, toute personne de petite taille devait être déplaisante. « Un enfant de six ans est rencontré dans l'escalier par sa tante, à la maison depuis deux jours et qui, en habits de dimanche, se dispose à aller à la messe. « Jack, ditelle à la mère de l'enfant, ne vient donc pas avec nous à la messe ? Il n'est pas endimanché. » L'enfant riposte avec dignité : « Les hommes ne vont pas à l'église. » Cela est très vrai pour le père de l'enfant

et

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pour l'enfant lui-même, car sa mère a une foi tolérante. Mais, si l'enfant était allé une seule fois à l'église, il saurait qu'il y a des hommes et même des enfants qui vont à l'église (1). » Voilà des sophismes du dénombrement imparfait.

L'enfant transforme étourdiment en lien de causalité une coïncidence accidentelle. Un petit garçon de deux ans, qui était nourri avec le lait d'une vache blanche, disait : « Le lait est blanc parce que la vache

(1) B. Pérez, l'Enfant de trois à sept ans, pp. 223-224 (Paris, F. Alcan).

est blanche. » C'est prendre pour cause ce qui n'est pas cause.

D'un fait exceptionnel, il conclut à une nécessité générale; il regarde comme essentiel à une chose Ice qui ne lui convient que passagèrement. Par exemple, sur une première rencontre, il juge des qualités ou des défauts d'un camarade ou d'un maître. Il commet alors un sophisme de l'accident.

Les sophismes déductifs ne sont pas plus rares chez l'enfant.« Il fait continuellement des pétitions de principe par cela seul que, ayant généralisé trop vite, il croit tenir des vérités évidentes, quand il n'a que des apparences trompeuses. Dans ses discussions avec ses camarades, il manie instinctivement, presque avec la même habileté qu'un avocat retors, le sophisme de l'ignorance du sujet, qui consiste à prouver ce qui n'est pas en question, à réfuter astucieusement un adversaire en lui faisant dire autre chose que ce qu'il a dit. — Enfin, dans ses révoltes contre l'homme, dans ses résistances à la volonté et à la raison du maître, il s'exerce indirectement au cercle vicieux, en lui tendant des pièges pour l'y faire tomber lui-même... Il ne peut nier directement la supériorité de l'adulte, qui a plus d'idées, plus de mots à son service, plus de ressources de toutes sortes à sa disposition; mais, au fond, il n'accepte pas franchement cette supériorité. Il se mesure avec l'homme, avançant les unes après les autres beaucoup de raisons, non avec l'idée de démontrer ces raisons, mais

avec le secret espoir qu'il y en aura une parmi elles qui déroutera son adversaire, l'amènera à lâcher pied, le fera tomber dans une contradiction. C'est cela qui constitue le tour vicieux d'esprit et de caractère qui fait ce qu'on appelle l'enfant raisonneur.

L'enfant : Parce que

« Le maître : Il ne faut pas faire cela. Et pourquoi ne faut-il pas faire cela? c'est mal fait. — Mal fait ! Qu'est-ce qui est mal fait ? - Ce qu'on vous défend. - Quel mal y a-t-il à faire ce qu'on me défend? On vous punit pour avoir désobéi. Je ferai en sorte qu'on n'en sache rien. On vous épiera. Je me cacherai. On vous ques

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Et pourquoi ne faut-il pas mentir? - Parce que c'est mal fait, etc.

« Voilà, ajoute Rousseau, le cercle inévitable. Mais ce n'est pas précisément l'homme qui fait ici un cercle vicieux, c'est l'enfant qui l'y pousse sophistiquement, sachant bien que l'homme, ne pouvant pas aller avec lui jusqu'au fond des choses et lui fournir les raisons dernières de ce qu'il lui commande, finira par donner prise contre lui à un certain moment et par rentrer dans quelque chose qu'il aura déjà dit » (1).

Ici c'est à l'amour-propre de l'enfant, à la bonne opinion qu'il a de lui-même, qu'est dû le sophisme. Si nous recherchons quelles sont les autres causes

(1) Maillet. Psychologie de l'homme et de l'enfant, pp. 557558.

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