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pris pour complice. Quand il n'y a point de preuves contre l'accusé, on le renvoie après une longue prison; mais il perd toujours la meilleure partie de son bien, qui se consume pour fournir aux frais de l'inquisition. Le secret de la procédure est gardé si étroitement, qu'on ne sait jamais le jour destiné à prononcer leur sentence. Ce jugement se fait pour tous les accusés une fois l'année, en un jour choisi par les inquisiteurs. L'arrêt qu'on y donne s'appelle un auto-da-fé, c'est-à-dire un arrêt de foi, ou en matière de religion; et il est aussitôt suivi de l'exécution des coupables. On rend cet arrêt en public, avec des solennités extraordinaires. On élève en Portugal un grand théâtre de charpente, qui occupe presque toute la place publique, et qui peut tenir jusqu'à 5000 personnes. On y dresse un autel richement paré; et à côté on élève des rangs de siéges en façon d'amphi

théâtre, pour faire asscoir les familiers et les accusés. Vis-à-vis est une chaire fort haute, où un des inquisiteurs appelle chaque accusé l'un après l'autre, pour écouter la lecture des crimes dont on l'accuse, et l'arrêt de condamnation qu'on lui prononce. Les prisonniers qui sortent de la prison pour venir sur ce théâtre jugent de leur destinée par les différens habits qu'on leur a donnés. Ceux qui ont leurs habits ordinaires en sont quittes pour une amende. Ceux qui ont un san-benito qui est une manière de juste-au-corps jaune sans manches, chargé d'une croix rouge de Saint-André cousue dessus, sont assurés de la. vie; mais ils perdent leur bien qui est confisquéau profit de la chambre royale, et pour payer les frais de l'inquisition. Ceux à qui l'on fait porter sur leur sanbenito quantité de flammes de serge rouge, cousues dessus sans aucune croix, sont convaincus d'être relaps et d'avoir

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déjà eu une fois leur grâce, et sont menacés d'être brûlés en cas de rechute mais ceux qui, outre les flammes représentées sur leur san-benito, y portent leur propre tableau, environné de figures de diables, sont destinés à la mort. Il y a impunité la première fois pour ceux qui promettent de renoncer au judaïsme, et qui ont fidèlement révélé tous leurs complices; mais à la seconde fois, il n'y a plus de pardon. Les inquisiteurs, étant ecclésiastiques, ne prononcent point l'arrêt de mort; ils dressent seulement un acte qu'ils lisent à l'accusé, où ils marquent que le coupable, ayant été convaincu d'un tel crime, et l'ayant lui-même avoué, la sainte inquisition le livre avec douleur au bras séculier. Cet acte est mis entre les mains de sept juges qui sont au côté gauche de l'autel, lesquels condamnent les criminels à être brûlés après avoir été étranglés, si ce n'est qu'ils soient

Juifs; car, en ce cas, on les brûle tout vifs.

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«Les places publiques, où se font ordinairement ces sortes d'exécutions, s'appellent Roussi en Portugal. On y dresse un fagot avec un poteau au milieu, où le criminel étant assis, est attaché, puis brûlé. La confrérie de la miséricorde est présente à ce spectacle, où elle vient avec une bannière suivie de plusieurs prêtres qui conduisent le criminel au lieu patibulaire et font des prières pour lui. »

Enfin, grâce en nos jours à la philosophie
Qui de l'Europe au moins éclaire une partie,
Les mortels plus instruits en sont moins inhumains.
Le fer est émoussé, les bûchers sont éteints.
Mais si le fanatisme était encor le maître,

Que ces feux étouffés seraient prompts à renaître !
(VOLTAIRE.)

LETTRE XV.

LE FANATISME.

JE Vousai parlé d'un délire qui étouffe en notre ame tout ce que la nature peut avoir mis de sentimens grands et généreux. Par lui, sont fascinés les

y

yeux même de la raison, et dès l'instant fatal où il se manifeste en nous, tout ce qui nous environne est digne d'adoration ou d'anathême.

Ce délire affreux, que des mains habiles savent diriger à leur gré, a fait plus de mal dans les deux mondes, que n'en ont jamais pu faire tous les autres fléaux ensemble. Il provient, ou de la politique, ou de la religion. Qu'il vienne de l'une ou de l'autre source, ses excès sont sans bornes et ses ravages font frémir. Guidé, par un imposteur, Séide

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