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LETTRE XIV.

L'INQUISITION.

Le seul fanatisme religieux a plus fait de mal sur la terre que tous les autres fléaux réunis. Sans lui, sans les frénésies qu'il enfante, la moitié des forfaits les plus communs seraient encore ignorés, et peut-être même en serious-nous encore un même degré de candeur que Solon et Lycurgue, lorsqu'ils refusèrent de faire des lois contre le parricide, ne croyant pas que ce crime pût jamais être commis. Parmi les plus grands maux que le fanatisme a produits, il convient de placer l'inquisition, juridiction ecclésiastique érigée par le siége deRome en Italie, en Espagne, en Portugal, et même dans les Indes, pour ôter à la fois la fortune et la vie à quiconque adorait Dieu au

trement qu'on ne l'adore à Rome ; institution surtout d'autant plus odieuse, qu'elle est totalement opposée à l'esprit de la religion qu'elle prétend défendre. Un doux inquisiteur, le crucifix en main, Au feu, par charité, fait jeter son prochain, Et, pleurant avec lui d'une fin si tragique, Prend pour s'en consoler son argent qu'il s'applique Tandis que de la grace ardent à se toucher, Le peuple en louant Dieu danse autour du bûcher.

Née dans le sein de l'Italie des superstitions du pape Grégoire IX, l'inquisitions'étenditbientôt jusqu'aux frontières de France. Tout le midi de l'Europe en fat désolé, et voici de quelle manière elle s'établit en Espagne.

Un fourbe, nommé Saavedra, ayant fabriqué de faux pouvoirs du pape, fit son entrée à Séville, en qualité de légat, avec un cortége de cent vingt-six domestiques: il tira 13,000 ducats des héritiers d'un riche seigneur du pays, pendant les vingt jours qu'il y demeura

dans le palais de l'archevêque, en produisant une obligation contrefaite de pareille somme, que ce seigneur reconnaissait avoir empruntée du légat pendant son séjour à Rome; et arrivé à Badajoz, le roi Jean III, auquel il fit présenter de fausses lettres du pape, lui permit d'établir des tribunaux de l'inquisition dans les principales villes du

royaume.

Ces tribunaux commencèrent de suite à exercer leur juridiction, et il se fit un grand nombre de condamnations et d'exécutions d'hérétiques relaps et d'absolutions d'hérétiques pénitens. Six mois s'étaient ainsi passés, lorsqu'on reconnut la vérité de ce mot de l'évangile: Il n'y a rien de caché qui ne se découvre. On enleva le fourbe et on le conduisit à Madrid. Etonné de tout ce qu'il apprit de la fourberie et de l'adresse du faux légat, l'archevêque envoya toutes les pièces du procès au pape Paul III,

aussi bien que les actes des inquisitions que Saavedra avait établies. Il résulta de leur examen qu'on avait déja brûlé un grand nombre d'hérétiques, et que ce fourbe avait extorqué plus de 300,000 ducats.

Le pape, qui dans tout cela, en vit que l'extension de son autorité, confirma tout ce qui avait été fait en son nom et revêtit même le faussaire de la qualité de chef du saint office.

Il ne sera peut-être pas sans intérêt pour vous de connaître les détails donnés par Moréri sur l'inquisition :

« Les seigneurs les plus considérables se font, dit-il, officiers de l'inquisition sous le nom de familiers. Leur fonction est de faire la capture des accusés. Le respect extrême qu'on porte aux familiers et la terreur qu'ils jettent dans les esprits, autorise si fort les emprisonnemens, qu'un accusé se laisse emmener sans oser rien dire, dès qu'un familier lui

a prononcé ces paroles: De la part de la sainte inquisition. Aucun voisin n'ose murmurer; le père même livre ses enfans, et le mari sa femme; et s'il arrivait quelque révolte, on mettrait en place du criminel tous ceux qui auraient refusé de donner main-forte pour empêcher son évasion. On met les prisonniers un à un, ou deux à deux dans de petites cellules, d'où on les tire, les jours de conseil, pour être interrogés à la manière de ce tribunal, où on ne leur dit pas de quoi ils sont accusés, mais on se contente de leur demander de quoi ils se sentent coupables. D'abord, tous les parens du criminel s'habillent en deuil, et en parlent comme d'un homme mort : ils n'osent solliciter pour sa grâce, ni même s'approcher de la prison, tant ils craignent d'être suspects et enveloppés dans le même malheur: jusque-là que les parens se réfugient quelquefois en pays étrangers; car chacun craint d'être

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