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sans vouloir jamais qu'on sût que ce: bien venait d'elle. Un page dont elle était sûre portait ses dons sous le toit des chaumières et lui rapportait en échange les pleurs de reconnaissance et les bénédictions du pauvre.

L'honneur qu'avait ce jeune homme d'approcher de sa reine, excita l'envie d'un autre page, et porta celui-ci à le calomnier près du roi. Il ne s'agissait pas moins que de la réputation d'Elisabeth. Furieux au dernier point, le roi crut ce qu'on voulut, et prépara sa

yengeance.

Il avait, comme tyran, ses meurtriers affidés. Il en mande un. « Tu poignar- deras, lui dit-il, le premier de mes pages que j'enverrai près de toi, » et soudain lui envoie sous un prétexte quelconque le jeune infortuné dont il veut trancher la vie.

Celui-ci part. Pur de cœur et tranquille d'esprit, il va remplir les inten

tions de son roi sans se douter qu'il marche à la mort : mais une inspiration soudaine l'arrête tout à coup. Il peut

trouver des malheureux sur le chemin qu'il va parcourir, et il faut avant de partir, qu'il prenne les ordres de la reine.

Ce retard le sauva. Impatient d'apprendre que son ennemi n'est plus, le calomniateur court lui-même pour le savoir de l'assassin. O Justice éternelle ! il arriva le premier, et ce fut lui qui périt.

Vous le voyez, ma bonne amie, le doigt de la divinité semble avoir lui-même marqué ce châtiment; mais, me direz-vous, sans l'incident qui le sauva, l'innocentau rait succombé. En admettant que Dieu n'eût rien fait, croyez-vous que l'ordre naturel des choses n'aurait pas suffi pour découvrir son innocence avant le fatal instant? Qui vous dit que pendant que le bon page se rendait chez son bourreau, la vérité trahie ne se montrait point au

roi? et dans ce cas, ne doit-on pas penser que le roi, le roi, tout barbare qu'il était, se fùt'empressé de révoquer ses premiers ordres? Il en serait résulté ce que vous avez vu le coupable aurait péri.

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Il ne faut jamais oublier que qui commet un crime a tout contre lui : le cri de sa conscience qui est à la fois son supplice et son dénonciateur; la justice divine qui ne souffre point que l'innocent soit frappé pour le coupable; l'enchaînement des circonstances, qui parle, agit et révèle. Ainsi, qu'on m'accuse d'un crime auquel je n'ai point de part, jepuis souffrir d'abord les premières conséquences de ce crime, mais comme il entre dans les événemens d'ici-bas de se contrôler entr'eux, et par conséquent, de se démentir ou de se confirmer, il est de toute impossibilité que mon innocence ne frappe point tous les yeux, et n'écrase pas de son poids le malheureux qui a voulu m'inculper,

C'est un triste calcul que celui de spéculer sur la calomnie: le coupable est-il triomphant, ses remords lui dechirent le cœur, jusqu'à ce que les tortures lui viennent briser les membres. Pour l'innocent, s'il se pouvait qu'il succombât, le simple témoignage d'une conscience pure suffirait à son dernier instant pour le consoler de tous ses maux. A demain.

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LETTRE IX.

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DU VRAI BONHEUR.

JL vous arrive quelquefois, ma bonne amie, de dire heureux comme un roi. Est-ce qu'un roi est plus heureux qu'un autre homme? Je vous entends: oui, s'il consacre ses jours à la félicité de son peuple; non, si ne vivant que pour luimême, il tient plus à être craint qu'aimé. L'aventure de Damoclés justifie votre raisonnement. Un jour que ce courtisan vantait les richesses et la puissance du tyran son maître, Denys qui l'entendait lui proposa de prendre un instant sa place. Voilà Damoclés sur le tiône. Aussitôt, les festins les plus somptueux, les esclaves les plus belles, les mets les plus recherchés, les vins les plus exquis, les plus délicieux parfums

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