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tiné s'attendrit, mais la lâche indifférence du sénat, pour cet illustre patricien, enhardit les tribuns, et le plus ferme appui de Rome est condamné à l'exil.

Furieux, hors de lui, affamé de vengeance, Coriolan jure de ne revoir sa patrie que des torches à la main. Il embrasse sa mère, sort des murs de Rome, court au camp des Volsques, obtient de les commander, et marche incontinent avec eux contre ces mêmes Romains qui l'ont banni. Amis, ennemis, tribuns parens, sénateurs, sa fureur confond tout: il veut ensevelir son outrage sous les ruines fumantes de Rome.

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Ainsi, ma chère amie, l'injustice a fait en un instant d'un guerrier généreux un traître exécrable, d'un digne citoyen un infâme transfuge. La nature, pourtant, qui ne perd jamais ses droits, sembla prendre le soin de réhabiliter sa gloire. Envoyée par la république pour

obtenir ce qui avait été refusé à toutes les députations, Véturie, mère de Coriolan, se rend au camp ennemi, et se jette pour sa patrie aux genoux de son fils irrité. Je vous ai parlé, Mademoiselle, de l'amour de Coriolan pour sa mère. Il ne put la voir dans cette posture sans en être ému jusqu'au fond du coeur : La victoire est à vous, lui dit-il, les Romains sont sauvés, mais votre fils est perdu » il dit, la relève, retourne à Antium, et meurt, poignardé par les Volsques, qui ne peuvent lui pardonner d'avoir trompé leur espoir.

Que d'horreurs sont ici le résultat d'une injustice! Un héros déshonoré, un pays mis en cendres, une mère bumiliée, tout un peuple flétri par l'assassinat! il est pourtant si doux d'être juste! on n'a point à étouffer la voix de sa conscience, tout ce qu'elle peut commander, on le fait par penchant, quel que soit l'arrêt que vous portez, tous

les partis vous est ment; et le témoignage de votre cœur sert à vous confirmer cette vérité de tous les temps, que le juste est l'image de Dieu sur la terre.

LETTRE VIII.

DE LA CALOMNIE.

Il est un monstre affreux, né de la perfidie,
Cruel en ses excès, tranquille en sa furie.
Ses traits défigurés sont cachés sous le fard;
Son souffle est venimeux, sa langue est un poignard;
La Trahison l'arma de ses noirs artifices;
Il fut par Tysiphone endurci dans les vices;
Il respire le meurtre, il blesse en caressant;
Il défend le coupable, il poursuit l'innocent.

Ce monstre que nous appelons Calomnie, était, chez les Athéniens, mis au rang des divinités malfaisantes. Il s'est partagé le monde avec la Médisance, sa sœur. Tous deux y font des У ravages qu'il est impossible de décrire ; elle, dans les classes inférieures de la société ; lui, dans les cours, et notamment au pied des trônes, Je ne m'étendrai,

ma bonne Laure, ni sur les maux inouïs que la calomnie enfante, ni sur la dégoutante horreur qu'elle inspire.

Des humains telle est la faiblesse ;

Il faut qu'ils troublent leur repos,
L'un, l'autre, en s'attaquant sans cesse :
Nont-ils donc point assez des maux
Accumulés sur leur espèce?

La calomnie serait le plus grand de tous ceux qui pèsent sur l'humanité, si Dieu, de qui tout bien émane, ne la rendait presque toujours funeste au calomniateur. Celui-ci a beau faire : toutes les combinaisons de son esprit sont impuissantes contre la volonté céleste, et il. se prend lui-même dans le piége qu'il tendait à son frère. En voici un exemple:

Denis, roi de Portugal, épousa Elisabeth, fille de Pierre roi d'Arragon. Denis était cruel et jaloux; Elisabeth, pleine de tendresse et de charité. Cette reine faisait beaucoup de bien, mais

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