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selon moi, jusque sur les deux grands moteurs de l'homme, les passions et la raison. Celles-là sont les voiles du navire, et celle-ci en est le gouvernail. Il n'est rien en effet que l'âme ne dompte avec la raison; et bien que madame Deshoulières ait dit quelque part :

Cette fière raison dont on fait tant de bruit
Contre les passions n'est pas un sûr remède;

Un

pen

de vin la trouble, un enfant la séduit, Et déchirer un cœur qui l'appelle à son aide

Est tout l'effet qu'elle produit.

Mille exemples fameux que je me dispenserai de citer, viennent, en dépit de ces vers; appuyer mon assertion; c'est ici l'histoire des cailloux de Démosthènes : si cet homme, dont la mémoire ne peut plus périr, n'a

vait asservi son organe aux volontés de sa raison, serait-il considéré de nos jours comme le plus grand orateur de l'antiquité.

J'en viens au système qui fait la base de mon livre: mêler l'histoire à la morale, les appuyer réciproquement d'exemples, donner à mes descriptions le ton rapide et varié du style épistolaire, répandre sur les faits cités le mérite piquant d'un agréable à-propos, tout cela m'a tellement séduit, que je n'ai pu tenir un seul instant contre le désir de faire l'ouvrage. Ai-je réussi? c'est au public à prononcer.

Ou je me trompe fort, ou j'ai envisagé mon sujet d'une manière qui n'est pas sans avantage. Je n'ai

pas

dit simplement à Laure: «< Aimez la vertu parce que Dieu l'ordonne, » j'ai prétendu qu'elle sût pourquoi Dieu l'avait commandé; et, dans le cas où elle s'oublierait jusqu'à douter de la volonté céleste, lui démontrer encore par des faits évidens qu'on ne saurait être heureux sans pratiquer la vertu. Puissent toutes les jeunes personnes qui liront mon ouvrage, en faire ainsi que Laure la base de leurs actions! Ce ser apour moi la qlus douce récompense, et la seule en effet que je puisse ambitionner.

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LA première des lettres que je vous écris est pour vous prémunir, Mademoiselle, contre les historiens exaltés; je m'appuie d'un fait. Quiconque ne connaîtrait Alexandre que par ce qu'en ont dit Boileau, Rousseau et quelques échos de ces grands hommes, ne le regarderait assurément que comme un brigand fameux dont le glaive des lois devait une prompte justice aux nations. D'un autre côté, quiconque ne verrait en lui que le fondateur des plus belles cités de l'Asie,

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quele régénérateur du commerce du monde, le regarderait à tous égards comme le digne fils des dieux dont il prétendait descendre. Défions-nous de ces deux excès. Alexandre était homme, et comme tel, soumis à toutes les faiblesses de l'humanité: sa passion la plus dangereuse était la colère. Dès qu'elle éclatait, rien ne pouvait plus l'arrêter; et le vainqueur qui rendit à Porus ses états dont il pouvait rester maître, à la femme et aux filles de Darius, l'honneur qu'il pouvait leur ravir, n'était plus alors qu'un furieux sans frein. Mais ce moment passé, toute l'horreur de sa conduite venait s'offrir à son esprit; les nobles pleurs du repentir remplaçaient dans ses yeux les vils pleurs de la rage, et s'il détestait l'excès auquel il venait de se porter, c'était moins pour l'excès lui-même que pour la tache nouvelle dont il venait de souiller sa gloire. On voit dans Quinte Curce un grand exemple de cette vérité.

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