mieux que l'on me demande pourquoi je n'en ai pas que pourquoi j'en ai. » C'est l'effet ordinaire de la modestie: elle se fait rendre par son silence même la justice qu'elle n'osait demander. Ainsi, ́ma bonne Laure, il faut toujours at tendre qu'on vous loue; et quand on vous a louée, se bien garder d'en concevoir de l'orgueil: car, comme l'orgueil est une sottise, on pourrait en conclure que vous n'avez pas mérité l'éloge. Il est une sorte d'orgueil inhérent à notre position, moins injuste peut-être, mais aussi ridicule que celui dont j'ai parlé. Cicéron, dans une de ses lettres, dit familièrement à son ami : « Mandezmoi à qui vous voulez que je fasse donner les Gaules. » Dans une autre, il se plaint d'être fatigué des lettres de je ne sais quels princes qui le remercient d'avoir fait ériger leurs provinces en royaumes; et il ajoute qu'il ne sait pas seulement où ces royaumes sont situés. C'eût été alors le cas de demander au prince des orateurs, si Rome, que tout l'univers croyait libre, en était réduite à ce point d'esclavage, que toute sa puissance résidât dans la volonté d'un consul? tel est l'esprit humain : abaisser qui s'élève, élever qui s'abaisse; c'est encore ce que nous apprend l'évangile : Vous qui vous présentez à un festin asseyez-vous à la dernière place; car si on la trouve indigne de vous, celle d'honneur vous sera donnée. Gardez-vous cependant de spéculer par orgueil sur les suites de la modestie; car une modestie affectée a tous les inconvéniens de l'orgueil, et de plus, le vernis odieux d'une lâche hypocrisie: il faut paraître ce qu'on est, et tâcher d'être bien pour paraître tel. LETTRE VI. DE LA FLATTERIE. LA flatterie, prise dans ce sens odieux: Détestables flatteurs, présent le plus funeste est un poison moral qui parut d'abord dans les cours, qui se répandit ensuite dans les différentes classes de la société, soit pour y être offert, soit pour être pris, dont tout le monde dit beaucoup de mal, et que chacun boit à longs traits. Jamais on ne flatte que pour tromper. Ceci posé, ma bonne amie, il faut regarder comme le Renard de La Fontaine, toute personne qui fait de vous un éloge outré. Je sais bien qu'il est difficile de reconnaître cet éloge, car notre conscience qui cherche à s'étourdir sur les vérités dures, s'étourdit encore plus sur les mensonges agréables, mais si c'est trop peu que de vous-même pour le bien sentir, rapportez vous-en de préférence aux gens qui, d'ordinaire, critiquent vos imperfections: celles-ci ne cherchant point à vous plaire, on ne saurait du moins leur supposer des intentions perfides. Boileau l'a dit pour les auteurs, Faites-vous des amis prompts à vous censurer; Tel vous semble applandir qui vous raille et vous joue. Chaque vers qu'il entend le fait extasier. : Tout est charmant, divin, aucun mot ne le blesse. Il vous comble partout d'éloges fastueux, La vérité n'a point cet air impétueux. Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible, Il en est de même pour toutes les conditions de la vie ; à moins qu'il ne vous ait donné des preuves évidentes de haine ou d'envie, jamais celui qui vous censure, ne le fait que par intérêt pour vous. Non-seulement, il ne faut point écouter les flatteurs, mais il faut encore se bien garder d'être flatteur soi-même. C'est, au dire même de ceux qui le sont, le rôle le plus infâme que puisse jouer un homme. A la vérité des honneurs de toute espèce viennent suppléer en lui à |