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fonction. En Franconie c'était le plus nouveau marié; en Souabe c'était le conseiller dernier reçu; en quelques endroits de l'Allemagne, l'officier chargé des exécutions devenait noble après avoir rempli sa charge un certain espace de temps. Chez aucun peuple ancien le préjugé des peines infamantes n'a existé, la honte du crime ne retombait jamais sur la famille du coupable. Qu'un homme vertueux dont l'ame est consumée par le besoin de soulager son semblable, qu'un capitaine qui a consacré ses jours à la défense de la patrie se présentent à nous, nos regards se portent vers eux avec admiration, chacun les contemple avec ivresse. Admettons maintenant qu'un de leurs parens qui n'a aucun titre à la gloire ou à l'estime, survienne après eux. Quel est le sentiment qui nous anime? c'est la plus froide indifférence. Nous ne croyons pas leur devoir un tribut de respect, par cela

seul que leurs parens parens ont droit à notre hommage. Eh bien! n'est-ce pas la pensée qui doit nous occuper dans le jugement que nous portons à l'égard d'une personne qui avait dans le sein de sa famille un être vicieux et coupable d'un crime? Pourquoi ferions-nous partager aux uns le mépris, quand nous refusons aux autres l'admiration?

Il était une coutume chez le peuple anglais qui prouve combien l'opinion publique s'élevait au-dessus du préjugé cruel qui gouvernait l'esprit des autres nations. Dès qu'un coupable avait reçu la peine due à son crime, ses parens et ceux qui l'avaient connu se réunissaient dans un banquet et se félicitaient par des chants de l'heureux événement qui délivrait la famille d'un monstre. Les lumières de la raison ont enfin dessillé les

yeux des hommes, l'infamie n'atteint plus aujourd'hui que le crime.

LETTRE LXIV. CONCLUSION.

MA chère Laure, la tâche que je me suis imposée est terminée. Nous sommes arrivés au bout de notre galerie historique; j'aime à croire que semblable au voyageur qui visite un monument célèbre par les souvenirs qui s'y rattachent, vous reviendrez quelquefois sur vos pas. Vous trouverez des points de vue qui sont échappés à votre guide, ou qu'il ne vous a pas montrés dans la crainte defatiguer vos regards par la trop grande multiplicité d'objets. Tous les traits que j'ai placés sous vos yeux, je vous les ai fait considérer sous leurs couleurs morales; ne perdez jamais de vue cette méthode d'étudier l'histoire, c'est le seul moyen de retirer des fruits de vos travaux. L'histoire est un oracle qui ne

peut nous tromper, c'est la voix du temps et de l'expérience; quand une action vous sera connue, analysez - la, c'est-à-dire, réfléchissez sur l'impression qu'elle vous aura causée, ne l'éloignez de votre pensée qu'après l'avoir approfondie; savoir lire l'histoire est plus difficile qu'on ne le pense; une comparaison ma chère Laure, vous fera mieux comprendre ma pensée. Il vous est arrivé souvent de prendre un morceau d'une riche étoffe et de chercher à l'assortir, vous l'approchiez d'un autre morceau, vous compariez les nuances entr'elles et vous prononciez le jugement que vous portiez sur la différence qui pouvait exister. Eh bien, voilà ce que vous devez faire pour apprendre l'histoire. Comparez entr'eux les faits et les hommes, comme vous avez comparé les morceaux d'étoffe, vous fixez ensuite l'opinion que vous devez avoir sur chacun, et de cette comparaison naîtra l'habitude

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du jugement et son infaillibilité. L'étude de l'histoire appliquée à la morale formera votre âme, vous y trouverez de grands exemples de courage qui soutiendront votre faiblesse de générosité; qui enflammeront votre cœur pour le bien; de vertus qui vous feront chérir tout ce qui est honnête. Cette étude ma chère Laure, est la première que je vous prescris, parce quelle doit développer le germe des qualités de l'âme. Orner l'esprit de son élève est sans doute une obligation que doit s'imposer un précepteur, mais former le cœur est le premier des devoirs. Convaincu de cette vérité, je laisserai quelque temps sous vos yeux les annales de l'histoire que j'ai tracées pour votre instruction, et lorsque vos progrès me seront démontrés, je vous initierai par des lettres à Laure sur la littérature, aux secrets de la poésie et de l'éloquence; je vous conduirai pas à pas dans la carrière des

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