parcourut les rangs de l'armée, sa voix ranima le courage des milices, elle leur communiqua la confiance dont elle était remplie. Elle marcha sur Orléans, y fit conduire des vivres et y entra elle-même en triomphe. Atteinte à l'épaule par une flèche, elle ne fut pas arrêtée dans sa course: Il m'en coûtera, dit-elle, un peu de sang, mais les ennemis n'échapperont pas. Les Anglais furent battus et Orléans délivré. Jeanne d'Arc marcha ensuite vers Reims, fit sacrer le roi et assista à la cérémonie l'étendard à la main. Une autre Jeanne, surnommée Hachette, fit encore preuve d'un courage surprenant. Née à Beauvais, en Picardie, elle vit la ville assiégée par les Bourguignons; déjà les assiégés ne pouvaient plus soutenir le choc et allaient subir la loi du vainqueur, déjà les cris de victoire retentissaient dans les rangs des Bourguignons, et ceux de désespoir parmi les habitans de

Beauvais, quand Jeanne Hachette accourt à la tête des autres femmes; son bras est armé d'une hache d'armes; elle paraît sur la brêche, arrache le drapeau qu'un Bourguignon arborait et jette le soldat au bas de la muraille. Les habitans enhardis par l'exemple de l'héroïne retournent aux postes qu'ils avaient abandonnés, et repoussent les assaillans. Un des traits les plus frappans de courage que l'histoire ait consacrés, est sans doute celui d'Arria, femme de Cocina Poetus, fait prisonnier par les troupes de l'empereur Claude, après la déroute de Scribonianus dont il avait embrassé le parti.

Cette femme courageuse ayant vainement sollicité d'être admise dans le navire qui conduisait son mari prisonnier, loua un bateau de pêcheur où elle s'embarqua seule, et suivit dans ce frêle esquif Poetus depuis l'Esclavonie jusqu'à Rome. Quand elle fut arrivée, et qu'elle

se fut convaincue que la cruauté de l'empereur ne laissait aucun espoir de salut à son époux, elle lui conscilla de se délivrer de l'existence, et d'échapper ainsi aux tortures qu'on lui réservait; mais croyant s'apercevoir qu'il n'avait pas le cœur assez ferme pour accomplir cette résolution, elle l'exhorta, le con. jura dans les termes les plus vifs, et dès qu'elle le vit ébranlé, elle prit dans ses mains le poignard qu'il portait, elle se frappa d'un coup mortel, et présentant l'instrument de mort à son époux, elle lui dit en souriant: Tiens, Pœtus, cela ne fait point de mal.

de

Il y a, ma chère Laure, deux sortes courage, le courage d'esprit et le courage de cœur; le courage d'esprit consiste à supporter les maux et les malheurs qui se présentent dans la vie. Le courage du cœur est dans les maux matériels ou physiques. Ainsi les actions. héroïques de Jeanne d'Arc et de Jeanne

Hachette sont les suites du courage du cœur, parce qu'elles dénotent seulement un mépris des dangers physiques, c'est-à-dire des dangers qui menacent le corps. Le trait d'Arria décèle au contraire les deux sortes de courage... courage d'esprit, tant qu'elle suit son époux dans le navire, qu'elle dispose Poetus à se soustraire aux tortures; courage du cœur, quand elle saisit le poignard et qu'elle s'en frappe. Le courage du cœur peut exister sans le courage d'esprit; mais le courage d'esprit suppose et exige souvent celui du cœur.

LETTRE LIX.

DE LA PERSÉVÉRANCE.

UN travail soutenu vient à bout de tout, ma chère Laure, et c'est ce que les Latins disaient fort bien par un proverbe que j'aurais rapporté ici, si vous aviez pu le comprendre; mais je me contente de vous en donner la traduction, et je crois que vous vous en contenterez aussi; en français comme en latin, il n'en est pas moins incontestable que l'assiduité et la persévérance surmontent tous les obstacles, et que rien n'est impossible à l'homme s'il le veut fortement et s'il travaille sans cesse à y parvenir. Je me rappelle à ce propos une petite histoire qui vient à l'appui de mon raisonnement, et qui suffira,