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LETTRE LVII.

DU COURAGE DANS LE MALHEUR.

Le seul moyen de triompher de l'infortune et de la rendre plus légère, c'est de la supporter avec courage et fermeté, et d'opposer au sort contraire une héroïque résistance que les revers ne sauraient abattre. Le plus beau spectacle pour les dieux, disait un ancien, c'est celui d'un homme de bien luttant contre l'adversité. On a vu souvent des ennemis qu'emportaient la fureur de la vengeance et l'ivresse de la victoire, s'arrê ter tout à coup à la vue d'hommes qui se défendaient avec courage quoique sans espérance, tandis que les cris et les supplications des fuyards ne faisaient que les animer davantage au meurtre et

au carnage. Ainsi, lorsque la France était soumise en partie aux Anglais, la ville de Limoges se révolta contre les étrangers; mais le prince de Galles, Édouard surnommé le prince Noir, la prit d'assaut avec ses troupes, et la livra au pillage : il traversa la ville au galop, sans être ému par les cris et les supplications des habitans, des femmes et des enfans que l'on massacrait sous ses yeux. Mais au détour d'une rue il aperçut trois soldats français qui, avec une incroyable audace, soutenaient seuls l'effort de ses troupes victorieuses. L'admiration dont il fut saisi à la vue de tant de bravoure, éteignit d'abord sa colère, et il fit grâce à toute la ville en considération de ces trois vaillans guerriers.

On cite encore le trait du fameux Scanderberg, prince de l'Epire, qui poursuivait un de ses soldats pour le tuer. Celui-ci ayant essayé en vain toutes les supplications et tous les moyens de

le fléchir, dit qu'il voulait au moins mourir en homme, et attendit son prince l'épée à la main, prêt à vendre chèrement sa vie. Cette résolution arrêta aussitôt la furie de Scanderberg qui, charmé de sa valeur, lui fit grâce au même instant. Et certes, la force et le courage extraordinaires de Scanderberg sont assez connus, pour que cette action ne puisse pas lui être imputée à lâcheté.

De même, Alexandre ayant vaincu Porus roi d'une partie de l'Inde, rencontra ce prince tout à l'heure puissant, maintenant prisonnier, couvert de blessures et dépouillé de tout. Touché de compassion à la vue d'un si grand malheur et de cette soudaine infortune il descendit de cheval, fut au-devant du vaincu, et lui demanda comment il voulait être traité: En roi, répondit Porus, qui ne pensait pas que les revers dussent abattre un homme de cœur, ni humilier son courage. A cette réponse magna

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nime, Alexandre, loin de s'offenser de la noble liberté qui l'avait dictée, rendit à Porus ses états et lui donna son amitié. Je pourrais, ma chère Laure, vous citer encore beaucoup d'autres traits semblables; mais je pense que ceux-là suffisent pour vous démontrer combien est estimable la vertu dans le malheur, et quelle est sa puissance sur les âmes généreuses.

LETTRE LVIII.

DU COURAGE CHEZ LES FEMMES.

LE courage, ma chère Laure, est un élan de l'âme qui porte à entreprendre quelque chose de grand, de hardi; à ne point craindre le danger. L'expérience et l'histoire nous prouvent qu'un sexe faible peut le connaître : la célèbre Jeanne d'Arc est une preuve de ce que j'avance. Née l'an 1412, à Domremy, près de Vaucouleurs, en Lorraine, elle entreprit, étant encore à la fleur de son âge, de délivrer Orléans assiégé par les Anglais, et de faire sacrer ensuite à Reims le roi Charles VII; elle alla trouver le roi qui, dans l'état désespéré de ses affaires, crut devoir accepter les services de l'hé roïne, Jeanne d'Arc, vêtue en homme

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