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A LAURE.

étrangère et de son prince dont il avait affermi la couronne et la puissance chancelante; et vous-même, ma chère Laure, vous croyez que ce grand guerrier dut passer une vieillesse tranquille au sein l'emdes grandeurs et des dignités qu'il avait si bien méritées. Détrompez-vous, pereur Justinien qui n'avait pas su défendre ses états, fut bassement jaloux et cruellement envieux de l'homme qui les avait conservés; il conçut contre lui une haine si violente, qu'il lui ôta tous ses emplois, et bientôt craignant que Bélisaire ne cherchât à se venger, il le fit jeter dans un affreux cachot, d'où il ne le laissa sortir qu'après lui avoir fait crever les yeux. Ce fut alors que l'on vit ce vieux soldat, couvert de blessures re➡ çues pour son prince, et horriblement mutilé pour prix de ses services, errer presque nu dans les rues de Constantinople, et demander l'aumône aux pas sans pour pouvoir subsister. Il ne put

long-temps résister à ses souffrances et à ces humiliations, il mourut dans la misére, et avec lui s'éteignit l'espoir de l'empire qui fut bientôt envahi par les barbares que ce grand homme avait tant de fois vaincus.

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De tout temps, ma chère Laure, la mémoire des grands hommes a été honorée d'un culte presque religieux. Les villes se sont disputé la gloire de leur avoir donné le jour, et surtout celle de posséder leurs cendres. On a vu des ennemis furieux et vainqueurs, s'arrêter respectueusement devant la tombe des héros, la saluer avec vénération, et rendre hommage à ce pouvoir magique qui s'attache au nom des hommes dont la vie a été marquée par de grandes actions. Ainsi les Lacédémoniens ravageant la Béotie et saccageant Thèbes respectèrent la maison qu'avait habitée Pindare, et s'arrêtèrent devant cette

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simple mais énergique inscription : c'est ici la maison de Pindare: ne la brûlezpas. Bien long-temps après, Alexandre s'étant aussi emparé de Thèbes, et la livrant au pillage, ordonna à ses soldats d'épargner la maison et la famille de ce grand poëte.

L'Histoire de France nous présente un trait semblable; le fameux capitaine Bertrand du Guesclin, acquit par sa bravoure, ses talens et son humanité la plus grande réputation. Le roi de France, Charles V, le combla d'honneurs, le créa connétable, et ordonna qu'il fût enterré à côté de lui à Saint-Denis, avec toutes les cérémonies d'usage pour les rois; mais l'hommage le plus beau qu'ait reçu ce général, lui fut rendu par ses ennemis eux-mêmes. Du Guesclin assiégeait la place de Châteauneuf de Randon en Bretagne, alors au pouvoir des Anglais qu'il avait chassés du reste de la province. Le gouverneur

A LAUR E.

de la place avait promis de se rendre le 12 juillet, s'il n'était pas secouru avant cette époque. Cependant le connétable, âgé de soixante ans, couvert de blessures, et affaibli par ses nombreuses campagnes ne put. résister à tant de fatigues; il tomba malade et mourut le lendeniain du jour même qui terminait la trève; les Français sommèrent le gouverneur de tenir la parole qu'il avait donnée de se rendre, et celui-ci ne fit aucune difficulté. Il sortit de la place, vint à la tête des principaux officiers de la garnison remettre sur le cercueil de du Guesclin, les clefs qu'il lui avait promises, et rendit à son corps inanimé les mêmes honneurs que s'il eût encore eu les armes à la main.

Telle est, ma chère Laure, la puissance de la vertu ; la mort qui détruit tout ne peut rien contre elle, et l'on voit des ennemis eux-mêmes se plaire à lui accorder un juste hommage.

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