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facile de voir que l'être dominé par l'avarice est un mauvais citoyen, un père dénaturé, un époux cruel, qu'il ne peut s'acquitter d'aucun des devoirs que lui impose la société. En outre, il devient le bourreau de lui-même, il se prive des jouissances et des consolations qu'il pour rait se donner. Il devient coupable envers tous, parce qu'il arrête dans sa circulation un métal qui doit faire, par sa répartition, le bien-être du pauvre qui échange ses sueurs contre ses moyens. d'existence. La femme, dont l'âme sera abreuvée par cette soifintarissable d'accumuler des trésors, sera coupable envers son époux et ses enfans; elle enfreindra tous les devoirs que lui imposent sa qualité d'épouse et de mère. Le divin Molière a tracé dans sa comédie de l'Avare tout l'odieux et le ridicule que laisse ce vice après lui. Il est des hommes chez lesquels l'avarice est d'autant plus af freuse qu'ils semblent destinés par leur

état à répandre les biens qu'ils ont recusen partage, et que la générosité paraît devoir être l'apanage de leur rang. Les rois et les grands, coupables de ce vice, ont trouvé la peine de leur avarice dans la haine des peuples; ceux au contraire qui ont marqué leur passage sur la terre par leurs libéralités, ont reçu dans l'histoire une place honorable.Alphonse, roi d'Aragon, dont nous avons déja parlé, s'est distingué surtout par sa libéralité et son mépris pour les trésors. Un de ses caissiers étant venu lui apporter une somme de dix mille ducats, un officier qui se trouvait là dans le moment, dit tout bas à quelqu'un : Je ne demanderais que cette somme pour être heureux. Tu le seras, lui dit Alphonse qui l'avait entendu, et il lui fit emporter la somme entière. Ce trait, ma chère Laure, n'est point entièrement à la louange d'Alphonse; je le cite pour vous faire connaître l'esprit de ce prince et

son mépris pour la richesse. L'emploi qu'il fit de ses trésors en cette occasion serait blâmable, si le présent n'avait pas été fait à un homme qui fût digne des bontés du prince. Un jeune seigneur très-riche étant au collége d'Harcourt, son père vint le voir, et dans la conversation, il lui demanda compte de l'emploi des sommes qu'il recevait pour ses plaisirs. Le jeune homme, pour toute réponse, courut à sa chambre : il гарporta une bourse pleine d'or et la présenta à son père, espérant recevoir des complimens d'une économie qui lui semblait louable. Le père fronça le sourcil en s'apercevant que la somme n'avait point été touchée ; il gronda fortement son fils, en lui disant : Si l'argent que vous possédez vous est superflu, employez-le à donner le nécessaire aux malheureux. En disant cela, il fit venir une foule d'indigens et leur distribua le produit des économies du jeune

homme. Ce père, ma chère Laure, pensait avec raison qu'il devait étouffer dans son fils un germe qui, plus tard, se développerait et deviendrait indestructible. Il regardait l'avarice comme un poison dont il fallait garantir le cœur de son enfant.

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LETTRE LIIL

DU RESPECT POUR LA VIEILLESSE.

Je vous ai souvent entretenue, ma chère Laure, de la vénération que vous deviez témoigner à certaines personnes; le respect est un aveu de la supériorité de quelqu'un, c'est un hommage que le cœur doit rendre au rang et au mérite. Rien n'est plus digne de notre respect qu'une personne avancée en âge. L'aspect d'un vieillard frappe notre âme d'une certaine vénération dont nous ne pouvons pas nous défendre. Celui qui aura bientôt terminé la carrière qu'il a été appelé à parcourir, mérite à plus d'un titre notre respect. Nous devons le regarder comme un oracle; sa voix est celle de l'expérience, elle ne peut nous

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