courtisan d'un caractère féroce, s'écria qu'il ne convenait pas à un homme de son rang de mentir en présence du roi, et se tournant vers le prince : Seigneur, lui dit-il, je veux vous instruire de la vérité, ce malheureux a proféré contre vous les plus indignes malédictions, et ce Seigneur vous a dit un mensonge. Le roi s'aperçut de la cruauté de celui qui lui tenait un tel langage, il lui répondit: Cela se peut, mais son mensonge vaut mieux que votre vérité, puisqu'il a tâché par ce moyen de sauver la vie à un homme, au lieu que vous cherchez à le perdre; ignorez vous que le mensonge qui procure du bien. vaut mieux que la vérité qui cause du dommage. Lequel des deux courtisans jugerezvous coupable, ma chère Laure? sans doute votre cœur sera tenté d'absoudre le premier, et de condamner le second; et quoique vous n'approuviez pas la maxime du roi sauvage, vous pencherez en faveur de celui qui cherche à sauver le coupable... Résistez, ma chère enfant, à cette émotion du cœur, elle fait l'éloge de votre sensibilité, mais elle vous conduirait à l'erreur. Voyez dans le courtisan véridique un homme perfide et cruel; mais celui qui a déguisé la vérité, considérez-le comme coupable. Condamnez ces mensonges qu'on nomme officieux, et qu'on fait soit pour obliger quelqu'un, soit pour son propre intérêt : votre morale, sur ce point, doit être rigide, ne trahissez jamais la vérité, soit pour vous disculper, soit pour excuser un autre. Il n'est jamais permis de faire un mal pour qu'il arrive un bien; la bonne intention sert à justifier les actions indifférentes, mais n'autorise pas celles qui sont détermi nément mauvaises. LETTRE LII. DE L'AVARICE. Au nombre des qualités essentielles à une femme, on doit placer l'amour de l'ordre et de l'économie. Cependant ces qualités ne doivent pas être poussées à l'excès; car, alors, elles dégénèreraient en avarice, c'est-à-dire en une passion sordide et jalouse de posséder sans aucun dessein de faire usage. L'économie diffère de l'avarice en ce que l'une n'est produite que par une raison réfléchie, et l'autre par une passion vile. L'économie est une vertu, l'avarice est un vice. Ecoutez le portrait que Théophraste, ce grand peintre des mœurs, trace de l'a vare. « L'avarice est un oubli de l'honneur et de la gloire, dès qu'il s'agit d'éviter la moindre dépense. Si un avare a rem porté le prix de la tragédie, il consacre à Bacchus des guirlandes ou des bandelettes faites d'écorce et de bois. Quelquefois, dans les temps difficiles, le peuple est obligé de s'assembler pour régler une contribution capable de subvenir - aux besoins de la république; alors il se lève et garde le silence, ou le plus souvent il fend la presse et se retire. Lorsqu'il marie sa fille et qu'il sacrifie, selon la coutume, il n'abandonne de la victime que les parties seules qui doivent être brûlées sur l'autel; il réserve les autres pour les vendre et comme il manque de domestiques pour servir à table et être chargés du soin des noces, il loue des gens pour tout le temps de la fête qui se nourrissent à leurs dépens, et à qui il donne une certaine somme. S'il est capitaine de galère, voulant ménager son lit, il se contente de coucher indifféremment avec les autres sur de la natte qu'il emprunte de son pilote. Vous verrez une autre fois cet homme sordide acheter en plein marché des viandes cuites, toutes sortes d'herbes, et les porter dans son sein et sous sa robe: s'il Fa un jour envoyée chez le teinturier pour en ôter les taches, comme il n'en a pas une seconde pour sortir, il est contraint de garder la chambre; il sait éviter dans sa rencontre un ami pauvre qui pourrait lui demander quelque secours : il se détourne de lui, il reprend le chemin de sa maison. Il ne donne point de servante à sa femme. Enfin, ne pensez pas que ce soit un autre que lui qui balaie le matin sa chambre, qui fasse son lit et le nettoie; il faut ajouter qu'il porte un manteau usé, sale et tout couvert de taches, qu'en ayant honte luimême, il le retourne quand il est obligé d'aller tenir sa place dans quelqu'assemblée. » D'après ce tableau, dont vous pouvez connaître les principaux traits, il est |