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trop heureux qu'elle daignât les honorer d'un regard; enfin, elle était vraiment plus puissante que le roi lui-même ; elle le savait, et cette connaissance qu'elle avait de ses charmes, augmentait tellement son orgueil, qu'elle croyait tous les hommes nés pour être ses esclaves.

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Un jour le roi donna une grande fête qui attira tous les seigneurs du royaume, et dans laquelle la princesse trouva occasion de faire de nouvelles conquêtes et d'accroître le nombre de ses chevaliers. Les combats d'animaux étaient alors en grande vogue, et les dames se plaisaient à embellir de leur présence, ces spectacles qui auraient dû les révolter; on fit donc paraître dans l'arène un lion et un tigre qui s'élancèrent aussitôt l'un sur l'autre avec des cris furieux, et commencérent à se déchirer avec acharnement. Au moment où ils étaient le plus animés, la princesse, soit par mégarde, soit à dessein, laissa tomber son

gant au milieu d'eux, et se retournant vers ses adorateurs : « Qui de vous, leur dit-elle, ira rechercher mon gant? »

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Tous restent muets et immobiles; un seul, un jeune chevalier s'élance par dessus, les palissades qui formaient l'enceinte, s'avance, ramasse le gant et se retire lentement sans que les bêtes féroces songeassent à l'attaquer; des ap plaudissemens éclatent de toutes parts, le chevalier traverse la foule qui le comble d'éloges, et s'avance vers la prin cesse. Celle-ci se retourne avec un gracieux sourire et se prépare à accueillir son adorateur avec une bonté qui ne lui était pas ordinaire; mais celui-ci lui jette froidement son gant à ses pieds et se retire avec un dédaigneux silence. La princesse chercha en vain à dissimuler son dépit et sa confusion, Pillușion était détruite et son empire venait de s'écrouler pour toujours.

LETTRE LI.

DU MENSONGE.

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MA chère Laure, la loi naturelle c'est-à-dire cette voix qui est dans nos cœurs, veut que la vérité règne dans tous nos discours. Mentir c'est offenser la vertu. Le mensonge est le partage d'un esprit pusillanime ou pervers; c'est presque toujours le défaut de courage et l'intérêt qui nous contraignent à déguiser une vérité. L'honneur est préférable à la vie, il en faut dire autant de la sincérité. Blanche de Castille, mère de Louis IX, disait qu'elle aimerait mieux voir son fils dans un brasier ardent que d'apprendre qu'il fùt souillé d'un mensonge. Ne croyez ce sentiment outré, ma chère

pas

Laure, tout être vertueux pense ainsi ; une preuve vient à l'appui de ce que j'avance. C'est un usage presqu'universel dans tous les tribunaux de faire affirmer à un accusé avant de l'interroger, qu'il répondra conformément à la vérité. On suppose donc qu'un homme quelque coupable qu'il soit, sera assez homme de bien pour déposer contre lui, lors même que son aveu tournerait à son désavantage.

La sincérité est d'une grande utilité dans les affaires, elle les accélère et attire une grande confiance à ceux qui la possèdent. Un écrivain la compare à un grand chemin uni et battu qui conduit plus tôt et plus sûrement au gîte que des sentiers détournés où l'on risque de s'égarer.

Parmi les premiers chrétiens il y eut un grand nombre de martyrs de la vérité, ils souffrirent les tortures les plus cruelles, les tourmens les plus aigus

pour lui rendre hommage; ni les promesses, ni les menaces ne pouvaient les contraindre à se souiller d'un mensonge. Questionnés par leurs pers cuteurs sur des miracles dont ils avaient été témoins, ils confessaient la vérité, et ni les fers, ni la mort ne pouvaient les faire déposer contre la conviction qu'ils avaient de l'existence d'un fait.

Un certain roi condamna à mort un de ses esclaves, lequel ne voyant aucune espérance de grâce, se mit à le maudire; ce prince qui n'entendait pas ce qu'il disait, en demanda l'explica tion à un de ses courtisans. Celui-ci qui avait le cœur bon et disposé à sauver la vie au coupable, répondit: Seigneur ce misérable dit que le paradis est préparé pour ceux qui modèrent leur colère, et qui pardonnent les fautes, et c'est ainsi qu'il implore votre clémence. Alors le roi pardonna à l'esclave, et lui accorda sa grâce. Sur cela un autre

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