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qu'il portait à la conservation de cet homme. » C'est, répondit-il, monsieur, qu'en pareille rencontre il m'a sauvé la vie à moi-même, et la reconnaissance exige que je la lui sauve aux dépens de la mienne. Le maréchal accorda la grâce à l'un et à l'autre.

Au bombardement d'Alger par les Français, un ordre portait que tout pri sonnier devait être mis à mort. Les Algériens exécutaient l'ordre dans toute sa rigueur; les Français les imitaient par représailles. Un soldat français allait être sacrifié selon la coutume des Algériens, on l'attachait à la bouche du canon, et l'artilleur allait mettre le feu à la pièce, quand un soldat algérien à qui le Français avait sauvé la vie dans une autre occasion, se présente, il conjure l'officier de faire grâce au prisonnier. L'ordre est irrévocable. Rien ne peut fléchir la rigueur de la consigne barbare. Eh! bien, s'écrie l'Algérien

si je ne puis le soustraire à la mort, je périrai avec lui. En disant cela, il s'élance vers le prisonnier, le serre dans ses bras, et ordonne au canonnier de faire feu. Un tel dévouement sauva le Français.

La reconnaissance semble être inspirée par l'instinct aux animaux même les plus sauvages. Le lion en donne de fréquens exemples, l'histoire d'Androclès viendra à l'appui de ce que j'avance. Condamné à mort, cet esclave est amené dans l'arêne, il attend le moment du supplice qu'on lui prépare. Déjà il entend les cris des animaux féroces dont il va devenir la proie, les barrières sont ouvertes. Les bêtes s'élancent de leur repaire. Quel est l'étonnement du peuple de voir qu'Androclès, loin d'être attaqué par les animaux est protégé par un lion monstrueux qui, couché à ses pieds, semble lui faire un rempart de son corps. Chacun le questionne, Andro

clés que le peuple absout, fait connaître qu'étant en fuite pour se soustraire à l'esclavage, il a pénétré dans un antre solitaire, que là il a sauvé un lion en arrachant de son pied une épine qui le blessait et en étanchant son sang avec le lin de sa tunique. Ce lion est le même qui vient de lui être opposé : il l'a reconnu, et son action est un tribut qu'il paie à la reconnaissance.

LETTRE XLIX.

DU TÉMOIGNAGE DE LA CONSCIENCE.

De même, ma chère Laure, que celui qui s'écarte du droit chemin, n'a pas de plus cruel bourreau que le remords qui suit une mauvaise action, de même l'être vetueux n'éprouve pas de triomphe plus doux, de concert de louanges plus flatteur que le témoignage de la conscience. C'est un bien grand plaisir de pouvoir se dire: qui me verrait jusque dans l'âme ne me trouverait coupable en rien de ce qui est contraire à la vertu. Fonder la récompense des actions vertueuses sur l'approbation d'autrui, c'est se fier, dit un philosophe, à un fondement trop incertain. Les autres ne vous voient pas, ils vous devinent; trom

pés par

les apparences, ils ne voient

que ce que votre art leur présente. Ne vous fiez donc pas seulement à leur opinion; servez-vous encore de votre propre jugement. Il est facile d'offrir les traits de la vertu, mais être réellement vertueux est autre chose. Julius Drusus, à qui un habile architecte offrait pour trois mille écus de placer sa demeure dans une situation d'où ses voisins ne pourraient découvrir ses actions, répondit: Je vous en donnerai six mille, si vous faites que chacun puisse me voir. Agésilaüs en voyageant, établissait sa demeure dans les temples, afin. que les dieux et les hommes fussent témoins de ses actions. Le témoignage de la conscience est une religion pour l'être malheureux. Elle allège le poids des fers du captif qui courbe la tête sous un arrêt inique. Elle fait fouler avec calme la terre de l'exil, et regarder sans émotion la hache du bourreau, Aristide non

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