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Qui loue avec adresse en est toujours aimé.
Despréaux, si vanté dans le siècle où nous sommes,
Au siècle de Louis était l'effroi des hommes;

Tandis que, plus aimable en ses brillans écrits,
Jean Racine à son char enchaînait tout Paris.

Il entre assez dans les goûts de la jeunesse de chercher à briller par les agrémens de l'esprit. Jusqu'ici, rien de mal, parce que la gloire acquise est le seul prix digne des talens. Mais, par malheur, cette gloire, tant désirée, la plupart des jeunes gens ne veulent l'obtenir qu'aux dépens de celle d'autrui et les imprudens ne songent pas qu'ils se font de la personne offensée un ennemi implacable. Cent personnes riront du bon mot, mais celle qu'il touche ne le pardonnera jamais.

Notre siècle en fournit plus d'un exemple, et celui que je vais citer n'est pas le moins connu. Un grand seigneur, nommé Daugin, veut que son nom soit anagrammatisé, et charge un de ses chefs

de bureau, connu pour très-habile dans ce genre de travail, de lui former avec ses six lettres, un mot flatteur pour son excellence. Savez-vous comme il s'en tira? de Daugin, il fit Nigaud sans doute la prudence voulait qu'il gardât sa trouvaille pour lui; mais ce malheureux avait aussi son amour-propre. Il en fit confidence à ses amis qui le répétèrent, et tout Paris en rit aux éclats: hors pourtant Monseigneur, qui, furieux, chassa son chef de bureau, et le poursuivit, au point de lui rendre inaccessibles tous les postes qu'il sollicita. Vous le voyez, ma bonne Laure il faut, quand on veut briller, savoir le faire sans blesser personne : l'écueil serait ici le même qu'à dire des injures positives, si l'offense résultant de la saillie ne portait en soi un vernis de ridicule qui la rend plus sanglante encore. Ce mot de ridicule me rappelle. cette pensée d'un grand écrivain: Le

:

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ridicule déshonore plus que le déshon

neur.

Mais autant un sarcasme peut deve→ nir funeste, autant une louange adroite peut avoir d'heureux effets. Cabade irrité de la longue résistance des habitans d'Amide, commande à son armée d'anéantir cette ville: cent mille habitans sont égorgés en quelques heures, et la rage du vainqueur n'est point encore assouvie. Il court pour ordonner de nouveaux assassinats, lorsqu'un vieillard l'aborde et lui parle en ces termes: Arrête, ô Cabade, et maîtrise la fureur : jamais vrai guerrier n'égorgea de vaincus. -Eh! pourquoi, dit le roi, m'avoir tant résisté?- La raison en est simple, repartit le vieillard, Dieu voulait, Dieu avait ordonné que tu ne dusses ta conquête qu'à l'excès de ta valeur.

Vous sentez, ma bonne amie, la finesse de ces mots. L'effet en fut prompt: désarmé par la louange, Cabade rap

pelle ses soldats, et ce qui restait d'Amide fut sauvé.

On peut conclure de ces deux faits que l'amour-propre est le roi de la terre. Gardez-vous de l'offenser ouvertement; mais aussi gardez-vous de le caresser à tort: la louange trop déplacée devient une insulte, et c'est en cela surtout que les extrêmes se touchent. Adieu.

LETTRE V.

DE L'ORGUEIL.

De toutes les faiblesses humaines, la plus grande, selon moi, est celle qu'on nomme orgueil. On dit que les petits esprits en sont seuls affectés; je le crois d'autant moins que l'histoire le réfute par quantité de faits. N'a-t-on pas vu l'un des premiers hommes de la Grèce, Alcibiade, ce mortel qui était à la fois l'ernemi et le favori des dieux, concevoir un orgueil sans mesure à cause des terres immenses qu'il possédait? Si l'orgueil était autre chose qu'une infirmité morale, je le trouverais naturel dans Alcibiade. Quel homme, en effet, eut jamais en partage plus de moyens de séduction! Beau, brave, spirituel, élo

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