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rance enfin, qui fit dire à M. de Crac, dans la charmante comédie de ce nom, qu'il possédait l'épée avec laquelle César tua Pompée, comme si tout l'univers ne savait pas que Pompée termina sa vie sous le poignard des assassins d'un roi d'Égypte ; et que César, le grand César, qui le poursuivait dans Pharsale, donna publiquement des lar

mes à sa mort :

Restes d'un demi-dieu dont à peine je puis
Egaler le grand cœur tout vainqueur que j'en suis.

Indépendamment des connaissances • dont j'ai parlé, il vous en faut encore en histoire naturelle et en astronomie. La première de ces sciences vous dévoi lant en entier les prodiges de la nature, vous inspire aussi pour le créateur, le sentiment sublime d'une adoration plus profonde. Quant à la seconde, qui, d'ailleurs est digne à mille égards des méditations du sage, elle nous apprend

à rire avec délices de la grande nouvelle de Trissottin:

Nous l'avons, en dormant, madame, échappé belle :
Un monde près de nous a passé tout du long,
Est chu tout au travers de notre tourbillon;
Et s'il eût en chemin rencontré notre terre,
Elle eût été brisée en morceaux comme verre.

Il faut pourtant bien se garder de donner dans le bel esprit; selon moi, il n'est pas pour une femme de ridicule qui égale celui-là. Qu'une femme écrive et parle bien (ce qui n'est ni écrire ni parler beaucoup), qu'elle répande dans sa conversation et dans son style le charme séducteur de la folie et du sentiment, mais qu'elle le fasse sans la moindre affectation: car, comme elle est par elle-même infiniment supérieure à tous les genres qui lui sont étrangers, elle ne pourrait que se nuire à cesser d'être elle-même. Le beau siècle de Louis XIV était à son aurore fécond en

femmes beaux-esprits. Toutes prétendaient au fauteuil académique, ou du moins, toutes avaient l'air d'y prétendre; car, grâces aux raffinemens sans nombre dont elles avaient embrouillé le langage, on ne s'entendait déjà plus, lorsque le ciel envoya Molière. Je ne vous en citerai qu'un exemple : Le rátelier de votre mérite est placé si haut, que le coursier de mes éloges ne saurait y atteindre.

C'est Molière qui le premier osa dire:

Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu'une femme étudie et sache tant de choses.
Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfans,
Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens
Et régler la dépense avec économie,
Doit être son étude et sa philosophie.

Nos pères, sur ce point, étaient gens bien sensés,
Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez
Quand la capacité de son esprit se hausse
A connaître un pourpoint d'avec un haut de chausse.
Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien;

Leurs ménages étaient tout leur docte entretien ;
Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.

Les temps sont changés. Il faut aujourd'hui qu'une femme doive quelque chose à l'étude; mais, si dans le degré de civilisation où nous sommes parveles agrémens de la nature sont insuffisans, telle est pourtant encore le triomphe de cette même nature, que les agrémens empruntés doivent lui ressembler trait pour trait.

LETTRE IV.

DE L'AMOUR-PROPRE.

IL est dans l'ame de tous les hommes d'être plus ou moins gouverné par l'amour-propre. Qu'est-ce que l'amourpropre ? allez-vous me dire. Cet amour, ma chère Laure, n'est ni celui d'autrui, ni celui de soi-même; et si j'en crois mes conceptions, c'est simplement la crainte toute naturelle de paraître inférieur en quelque point. Ainsi, l'on blesse ou l'on flatte l'amour-propre de quelqu'un selon qu'on élève ou qu'on rabaisse son mérite.

Autant il est utile d'appliquer sagemnt la louange, autant il est dangereux de blesser l'amour-propre.

Qui déshonore autrui n'en peut être estimé,

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