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un jour une application frappante de ce principe. Un matin, il était suivant sa coutume, en bonnet de coton et en veste courte, il prenait le frais à une des croisées de ses appartemens qui donnait sur la campagne. Son maître d'hôtel s'approcha de lui, et le prenant à son costume pour le cuisinier de la maison, il lui appliqua une forte claque sur le derrière le maréchal se retourne, domestique confus de s'être trompé, se jette à ses pieds et implore son pardon, alléguant pour excuse qu'il n'avait pas reconnu le maréchal, et qu'il l'avait pris pour le garçon de cuisine. Et quand c'eût été le garçon de cuisine, dit M. de Turenne d'un air calme, ce n'était pas une raison pour frapper si fort. Puis il releva le maître d'hôtel, et ne lui témoigna aucun changement dans sa manière d'agir avec lui. Voilà, ma chère Laure, de ces traits qui ne peuvent être sentis vivement que par

ceux qui ont surmonté les mouvemens de la colère. Un noble renommé par ses emportemens, mais dont le cœur était bon, regardait cette action de M. de Turenne comme la plus belle de sa vie, et la page de l'ouvrage qui la rapportait, comme une des plus surprenantes de l'histoire. Le célèbre Aristide qui s'est acquis une réputation immortelle par son amour pour la justice, nous offre un grand exemple de ce que peut l'empire sur soi-même. Dans une dispute élevée entre lui et Thémistocle son rival, il fut menacé par ce dernier qui leva sur sa tête un bâton : Aristide lui dit sans s'émouvoir : frappe, mais écoute. Concevez, ma chère Laure, le prix de la modération dont la douceur est le germe chez votre sexe. Repouslasez loin de vous toute passion par quelle votre âme se sentirait vivement émouvoir contre ce qui la blesserait, s'y abandonner, c'est décéler une fausse

délicatesse, une faiblesse d'esprit, une sensibilité blâmable ou un amour-propre mal fondé; c'est s'exposer à éloigner de nous tous ceux avec qui nous unissent les relations sociales et les affections du cœur.

LETTRE XLII.

DE L'EMPLOI DES TALENS.

Mademoiselle,

il

Ce n'est pas assez, pour parvenir à de grandes choses, d'avoir des qualités brillantes, du courage, de l'éloquence, enfin de ces vertus qui séduisent le vulgaire par leur éclat, faut encore savoir faire un bon usage de ces dons du ciel, et les faire tourner à l'avantage de ses semblables. Il n'y a d'homme vraiment grand que l'homme vraiment utile; et celui qui a rendu quelque service à l'humanité a plus de droit à la reconnaissance et à l'admiration générale que ces rois, ces conquérans fameux dont les triomphes sont souillés de sang humain, et dont la

gloire est stérile comme les lauriers qui forment leur couronne.

Un triste exemple de ces vérités nous est offert dans la personne de Catilina, sénateur romain, qui réunissait au plus haut degré toutes les qualités nécessaires au héros, un caractère ferme et énergique, sachant souffrir les privations, braver la mort et les souffrances, et communiquer aux autres l'ardeur qui l'animait. Malheureusement, Catilina ne connaissait pas la première des vertus, l'amour de la patrie, et il employa contre Rome les moyens qu'il devait consacrer à la défendre.

Après avoir rallié autour de lui tous les mécontens, tous les hommes perdus de dettes, couverts d'opprobre par leurs vices et leurs débauches, tous ceux enfin qui n'avaient qu'à gagner dans un bouleversement général, il forma une cons piration si vaste, qu'elle réunissait des sénateurs et des gens du peuple, et si

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