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un jour le veau ne pouvait acquérir un poids tel que celui qui l'avait porté la veille ne pût le porter le lendemain, et par une conséquence de ce fait, le villageois le porta chaque jour, lors même qu'il fut devenu taureau monstrueux. Imitez ce villageois, ma chère Laure, imposez-vous une tâche chaque jour; augmentez là d'une petite quantité chaque fois, vous parviendrezà embrasser un nombre de connaissances qui étonnera quiconque ne saura pas votre secret. En acquérant l'habitude du travail vous acquerrez le goût de la vertu, vous vous rendrez digne de l'admiration des autres, et vous trouverez dans leur estime et dans votre propre satisfaction la douce consolation de vos premières peines. Les anciens poëtes, ma chère Laure, nous représentaient le Temps sous les traits d'un vieillard armé d'une faux : rien ne pouvait l'arrêter, la Fortune, la Richesse, la Beauté, la Jeunesse, tout

était soumis à son empire, il renversait le trône des rois et la chaumière des bergers. Une seule personne était plus puissante que lui et retardait sa marche; cette personne était l'Etude. Liezvous donc, ma chère enfant, avec cette protectrice, liez-vous à elle, la chaîne sera légère, elle est de roses; en suivant ses traces vous trouverez le bonheur et vous doublerez votre existence.

LETTRE XLI.

DE LA DOUCEUR ET DE LA MODÉRATION.

MA chère Laure, une des qualités qui semble devoir être le premier apanage de votre sexe est la douceur. Elle jette de l'éclat sur toutes les autres, et toutes les autres s'évanouissent sans elle, ou du moins s'éclipsent en partie. La douceur dans une femme est le parfum qui s'exhale de la rose, elle attire vers elle, et le sentiment qu'elle fait éprouver est tel qu'il fait partager aux yeux le prestige et la fait paraître plus jolie. Au physique, la douceur est la qualité de ce qui n'a rien d'aigre, de piquant, ni d'amer; par extension, ou pour mieux dire, par comparaison, on applique cette définition au moral,

c'est-à-dire à l'esprit. Ainsi donc l'esprit ne doit avoir rien d'aigre, de piquant ni d'amer. L'interprète de cette qualité du cœur est le sourire; les lèvres sont le miroir où vient se réfléchir ce trait caractéristique de l'âme. Dans toutes les situations de la vie cette qualité doit briller. Elle enchaîne auprès de vous vos semblables; c'est un aimant qui attire, c'est un charme qui rend heureux ceux qui vous entourent. A deux époques de la vie, la douceur devient une obligation pour vous. Elève, la reconnaissance, le respect doivent l'imprimer dans votre âme ; épouse, l'amour, l'amitié, les doux liens du cœur vous en font un devoir. Le besoin de vivre heureuse vous le commande; l'intérêt de votre repos s'y trouve intéressé. Xantippe, femme de Socrate, était d'un caractère aussi emporté que celui de son mari était doux. Ce philosophe, avant de la prendre pour sa compagne,

n'ignorait pas, dit-on, sa mauvaise hu

meur.

Xénophon lui demandant pourquoi il l'avait épousée. Parce qu'elle exerce ma patience, répondit Socrate, et qu'en la souffrant, j'apprends à supporter tout ce qui peut m'arriver de la part des autres personnes. Tous les hommes n'ont pas la modération de l'époux de Xantippe, et tous ne jugent pas à-propos, pour bien apprendre à manier un cheval, de monter les plus fougueux. Il est, ma chère Laure, une classe de personnes avec lesquelles la douceur et la modération doivent être d'autant plus employées, qu'en vous en dépouillant, vous seriez accusée d'orgueil et même de barbarie. Je veux parler de la classe qui consacre son existence à vous servir, et qui échange ses sueurs et ses travaux contre un modique salaire. Le maréchal de Turenne, dont chaque trait peut être cité comme un modèle à suivre, fit

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