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Ceci me rappelle un trait dont j'ai été témoin, il y a long-temps, car j'avais à peine votre âge. Deux personnes jouaient ensemble; l'une d'elles trompant l'autre, je dis bas à celle-ci : On vous trompe, faites de méme. Qu'importe? répliqua-t-elle sa faute ne m'autorise point à faillir. Ainsi, ma bonne amie, lorsqu'à propos de Tarquin, Voltaire fait dire à Brutus :

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Il nous rend nos sermens dès qu'il trahit le sien. Voltaire blesse la morale pour entrer dans les sentimens de son héros. Les trahisons d'autrui ne nous autorisent point à trahir elles ne peuvent tout au plus que nous rendre moins condamnables.

LETTRE XL.

DU L'HABITUDE DU TRAVAIL.

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L'OISIVETÉ, a dit un philosophe, est la mère de tous les vices. Tous nos entretiens, ma chère Laure, auront pour but de vous convaincre de cette vérité. Le travail seul nous soustrait à ce vide de l'âme qui peut avoir de funestes effets, puisqu'il corrompt notre cœur avant même que nous sachions ce que c'est que la corruption, C'est par le travail que vous pourrez acquérir les connaissances utiles et agréables; il ornera votre esprit, en formant votre âme; il vous conduira à la possession du talent qu'une femme d'esprit appelle l'ornement du riche et le trésor du pauvre. Le travail doit être pour vous un ami véritable; quel que soit le sort que le ciel

vous réserve, il devra devenir le compagnon inséparable de votre existence. Heureuse, il doublera votre bonheur. Infortunée, il vous consolera des rigueurs du sort. L'être qui se livre au travail avec une sorte de déplaisir qui trahit sa répugnance, qui considère comme une lourde chaîne l'obligation imposée par la volonté d'un maître, ne peut retirer aucun fruit de son application contrainte. Si vous n'êtes pas portée à l'étude par vous-même, si le travail ne vous semble pas un devoir, mais un plaisir, et même un besoin, vos progrès seront nuls. Deux choses vous garantissent le fruit de votre application à l'étude, la persévérance et la réflexion. Une comparaison vous explique, ma chère Laure, ce que j'entends par persévérance. Vous avez vu au printemps des hirondelles voltiger sous les fenêtres de votre appartement, vous avez remarqué qu'en rasant la

terre, elles saisissent dans leur vol des petites mottes de terre, ou des brins de paille; habiles architectes et mères prudentes, elles établissent dans l'angle le plus élevé de la fenêtre, le nid qui doit recevoir leurs petits. Il arrive souvent que le vent, la pluie, l'humidité ou la sécheresse renverse les premiers fondemens de l'édifice qui doit recevoir la petite famille. La mère dès le point du jour voit le ravage et recommence ses courses et ses travaux; de son bec durci par la nature elle refait avec plus de soin et de solidité ce qu'elle avait d'abord construit légèrement; enfin l'ouvrage est terminé, et un petit cri de joie est le signal du triomphe de la persévérance qu'a montré l'hirondelle.

La réflexion qui est si nécessaire au travail vient de l'application de l'esprit. La distraction est un des plus grands obstacles qu'elle ait à vaincre. Retracer à son esprit les faits ou les principes

qu'on a découverts, les fixer dans son souvenir, et les comparer ensemble, voilà le but de la réflexion. De ce double exercice naîtra l'habitude du travail ; par elle vous vous sentirez portée, comme malgré vous, à occuper votre esprit, vous suivrez par une pente insensible un chemin semé defleurs, qui vous conduira sans que votre volonté paraisse même agir. Pour parvenir à ce point il est, ma chère Laure, quelques momens difficiles à passer; mais les difficultés se vaincront d'elles-mêmes; après l'action vous vous souviendrez à peine d'avoir combattu. Ecoutez une anecdote dont le sens moral soutiendra vos premiers pas dans la carrière. Un villageois avait une génisse, cet animal eut un veau; dès le premier jour que le fermier se trouva maître du il le porta sur ses épaules, le poids était léger; le lendemain même chose fut faite par le villageois; pendant plusieurs mois il réitéra cette opération; en

veau,

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