Page images
PDF
EPUB

en attendant le ciel, une des principales causes de notre prospérité sur la terre; la raison en est simple : tout ce qui respire vous chérit ou vous estime, et il est rare qu'on abandonne au malheur l'être dont on admire les vertus.

Supposons pourtant que l'adversité vous atteigne : alors, chère amie, tout concourt également à vous venger de ses coups. On m'a montré dans la capitale de la Saxe un grand exemple de cette vérité: tombé d'une noble aisance au dernier degré de la misère, un père de famille était réduit à mendier près de ceux qu'il secourut autrefois. Que pensez-vous que firent ceux-ci ? Les vertus sont de toutes les conditions: ils rétablirent eux-mêmes du produit de leurs aumônes la fortune de leur bienfaiteur.

Non, votre cœur ne peut faire du bienfait une spéculation; mais s'il en était jamais réduit à ce degré de sécheresse,

je vous dirais encore, bonne amie, ce qu'il est de mon devoir de vous dire toujours:Secourez le malheur, au risque même de faire des ingrats. Rousseau l'a dit ; « l'un des avantages des bonnes actions est d'élever l'âme et de la disposer à en faire de meilleures : car telle est la faiblesse humaine, qu'on doit mettre au nombre des bonnes actions l'abstinence du mal qu'on est tenté de commettre. »

LETTRE XXXIX.

DE LA FOI JURÉE.

APRÈS l'amour de la justice, le res pect à la foi jurée est le plus beau sentiment qui puisse animer l'homme. Je dirai plus, ce sentiment est lui-même une émanation de la justice, car dès qu'il y a serment il y a obligation, et dès qu'il y a obligation, il y a impossibilité physique de s'abstenir sans crime. Ceci, ma chère Laure, vous semblera peut-être un peu grave; mais

il

y a moyen de tout concilier, et je vais appuyer mon raisonnement d'un exemple donné par le maréchal de Tu

renne.

Turenne un jour fut arrêté dans une forêt par un brigand qui lui demanda la bourse ou la vie. Je n'ai rien sur

moi, dit-il, mais présentez-vous demain à mon hôtel, et 10,000 francs vous Votre parole qu'on

seront comptés.

-

ne m'arrêtera pas? Je vous la donne. - Passez.

Le lendemain un inconnu se fait annoncer chez Turenne, c'était le voleur. On l'introduit. Ah! c'est vous, lui dit le maréchal. Que l'on compte 10,000 francs à monsieur. Le voleur les prit et s'en fut.

Vous me direz, ma chère amie, que M. de Turenne n'ayant juré que pour sauver ses jours, rien ne l'obligeait à tenir si rigoureusement sa parole. Les lois, sans doute, étaient pour lui, mais qu'est-ce, après tout, que les lois, lorsque ma conscience parle ?

leur

Il faut encore voir les choses par côté sublime. Je suppose que Turenne eût livré son voleur au bourreau, il n'y aurait eu là rien que n'eût pu très-bien

faire le plus ordinaire des hommes;

mais se vaincre lorsqu'on est libre et se vaincre au point de donner ce qu'on possède pour tenir un serment prêté sous le poigard, voilà certes le plus beau trait de grandeur dont puisse s'honorer le cœur humain.

Savez vous, Laure, quelles sont les conséquences d'un premier manque de foi? Jurassiez-vous par tout ce qu'il y a de plus sacré, personne ne vous croit plus; vous n'avez plus la confiance de qui que ce soit au monde, nul n'ose prendre avec vous aucun engagement; et seule délaissée au milieu de l'immense population du globe, vous n'avez plus en partage que les mépris et la misère; il est, me répondrez-vous, des obstacles tellement majeurs, qu'on ne peut les surmonter. J'en conviens avec vous, mais c'est alors ou jamais, le cas de mettre en pratique ce vieux dicton de nos pères : fais ce que dois, advienne que poutra.

« PreviousContinue »