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LETTRE XXXVII.

MAHOMET II.

L'AMBITION, ma chère Laure, est le mobile des plus éclatantes actions, comme la cause des plus grands crimes. Un roi animé de cette passion ne fait ordinairement que le malheur de sés sujets. Quelle différence entre la gloire qui provient de la sagesse et celle qu'enfante l'ambition? la première est aussi durable que les sentimens qui l'ont inspirée; tandis que, semblable aux songes qui viennent troubler notre sommeil, la seconde bien souvent n'a qu'une existence factice. Ne nous y trompons la plus belle action que l'ambition puisse produire, perd moitié de

pas,

son mérite

par

de l'ambition.

cela seul qu'elle vien

De quoi n'est pas capable l'homme insensé que cette passion dévore? pudeur, respects, affections, loyauté, il foule tout aux pieds pour accomplir ses desseins, et le sang qui coule dans ses veines, n'est qu'un bitume ardent qui le brûle sans le consumer.

Pourquoi l'homme n'est-il pas d'une nature plus parfaite ? il pourrait du moins, plus sage dans ses vues, ne marcher à son but que par des moyens généreux. L'ambition alors deviendrait une vertu, ou plutôt une source intarissable de belles actions. J'ai parlé sans réserve des forfaits qu'elle produit, et l'un des souverains de l'Orient, vient appuyer ici mon raisonnement par des faits. Mahomet II ayant conçu un violent amour pour la jeune Irène, négligea bientôt, pour s'occuper d'elle seule, tous les soins de la guerre et dé l'em

pire. L'armée s'en aperçut, et s'en plaignit vivement. Pour toute réponse Mahomet donna l'ordre à l'armée de se réunir le lendemain dans la plaine, se rendit chez Irène, et y resta jusqu'au matin.

Jamais, disent les historiens, cette princesse ne lui avait paru si char«< mante; jamais aussi le prince ne lui << avait fait de si tendres caresses. Pour « donner, s'il était possible, un nou-' « vel éclat à sa beauté, il exhorta ses «.. femmes à employer toute leur adresse « et tous leurs soins à sa parure. Dès qu'elle fut en état de paraître en public,' « il la prit par la main, la conduisit au « milieu de l'assemblée, et arrachant «le voile qui lui couvrait le visage, il << demanda fièrement aux bachas qui « l'entouraient s'ils avaient jamais vu « une beauté plus accomplie. Tous ses << officiers en bons courtisans se ré

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pandirent en louanges excessives, et

le félicitèrent sur son bonheur. Alors << Mahomet, prenant d'une main les «cheveux de la jeune grecque, et de

l'autre tirant son cimeterre, d'un << seul coup fit rouler à ses pieds la << tête charmante qu'il idolâtrait; et se

tournant vers les grands de la Porte, << avec des yeux égarés et pleins de fu« reur : C'est ainsi, leur dit-il, que « ce fer, quand je le veux, sait cou"per les liens de l'amour. »

Cette action atroce fit trembler tous les spectateurs, et Mahomet n'oubliant pas que les janissaires par leurs murmures avaient été la cause de ce sacrifice, en fit périr la plus grande partie dans ses expéditions; Mustapha même qu'il chérissait, fut immolé sur le plus léger prétexte.

Jugez, Mademoiselle, des ambitieux par Mahomet. C'est encore le meilleur de ceux qui ont régné.

LETTRE XXXVIII.

DU RESPECT QU'ON DOIT AU MALHEUR.

VOULEZ-VOUS être digne de vos prospérités? respectez constamment ceux que l'infortune accable. J'ai vu beaucoup de riches, peu connaissaient toutes les douleurs du pauvre, peu même les soulageaient; car, placés par leur naissance au-dessus de tous les besoins, ils ne pouvaient concevoir qu'il existât des besoins au monde.

Il en est qui ne peuvent voir un malheureux sans croire qu'il a mérité ses malheurs. C'est ainsi, qu'étendu sur un fumier, Job, dévoré par les douleurs, se vit en butte à toutes les humiliations. Il faut, disaient ces cœurs d'acier, il faut qu'il ait commis quelque crime pour que Dieu le réduise à ce pitoyable

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