Page images
PDF
EPUB

<< ou assez lâche pour te satisfaire, main<< tenant qu'il n'est plus en ton pouvoir « de me rendre la vie. Va, monstre hor«rible, ajouta-t-il, en lui crachant au « visage, retire-toi...! »

Je crois, ma chère Laure, vous en avoir dit assez sur ce prince cruel pour vous faire voir que tout ce qu'il peut avoir fait de bien est entièrement effacé par ses cruautés, et je ne puis mieux ́terminer ma lettre que par ces deux vers du poëte philosophe que l'on cite souvent lorsqu'on veut exprimer d'une manière brillante une pensée noble ou une maxime d'humanité :

Exterminez, grand Dieu ! de la terre où nous sommes, Quiconque avec plaisir répand le sang des hommes.

(VOLTAIRE.)

LETTRE XXXIII.

CHARLES XII.

SANS doute, ma chère Laure, le courage est la première vertu des héros, mais quand il n'est pas réglé par la prudence et la raison, il dégénère en folie, et s'il produit encore des actions surprenantes, comme elles n'ont aucun bututile, cette témérité n'excite que de l'étonnement, et n'est jamais digne d'éloges.

[ocr errors]

Vous trouverez un exemple frappant de la vérité de cette réflexion dans le trait suivant tiré de l'histoire de Charles XII. Je ne puis mieux faire que d'emprunter à Voltaire le passage où il décrit le combat soutenu par ce roi avec soixante domestiques contre une armée turque toute entière.

«Après la défaite de Peltawa, Charles

se réfugia chez l'enipereur turc qui lui accorda un asile à Bender; mais bientôt l'influence de la Russie décida la Porte à se débarrasser de son hôte, et le roi de Suède fut invité à quitter les états du grand Seigneur. Charles refusa de céder à cette détermination, à moins qu'on ne lui, four.it une armée et de l'argent. Le sultan voyant qu'il ne pouvait rien en obtenir, prit le parti de donner l'ordre à son général d'employer la force, et bientôt la demeure du roi fut investie.

<< Ni les propositions des Janissaires qui lui furent envoyés, ni les lettres de Poniatowski, ne purent donner seulement au roi l'idée qu'il pouvait fléchir sans déshonneur. Il aimait mieux mourir de la main des Turcs que d'être en quelque sorte leur prisonnier. Il renvoya ces Janissaires sans les vouloir voir, et leur fit dire que s'ils ne se retiraient pas, il leur

ferait couper la barbe, ce qui est dans l'Orient le plus outrageant de tous les affronts. Les vieillards, remplis de l'indignation la plus vive, vinrent rendre compte au bacha de l'étrange réception qu'on leur avait faite. Tous jurèrent alors d'obéir aux ordres du bacha sans délai, et eurent autant d'impatience d'aller à l'assaut qu'ils en avaient eu peu le jour précédent. L'ordre est donné dans le moment, les Turcs marchent aux retranchemens; les Tartares les attendaient déjà, et les canons commençaient à tirer; les Janissaires d'un côté et les Tartares de l'autre, forcent en un instant ce petit à peine vingt Suédois tirèrent l'épée; les trois cents soldats furent enveloppés et faits prisonniers sans résistance. Le roi était alors à cheval, entre sa maison et son camp, avec les généraux Hord, Dardoff et Sparre, et, voyant que tous les soldats s'étaient laissés pren

camp;

dre en sa présence, il dit de sang-froid à ces trois officiers: Allons défendre la maison, nous combattrons, ajouta-t-il, pro aris et focis. Aussitôt il galoppe avec eux vers cette maison, où il avait mis environ quarante domestiques en sentinelles, et qu'on avait fortifiée du mieux qu'on avait pu.Ces généraux, tout accoutumés qu'ils étaient à l'opiniâtre intrépidité de leur maître, ne pouvaient se lasser d'admirer qu'il voulût, de sangfroid et en plaisantant, se défendre contre dix canons et toute une armée; ils le suivirent avec quelques gardes et quelques domestiques qui faisaient en tout vingt personnes.

<< Mais quand ils furent à la porte, ils la trouvèrent assiégée de Janissaires ; déjà même près de deux cents Turcs ou Tartares étaient entrés par une fenêtre, et s'étaient rendus maîtres de tous les appartemens, à la réserve d'une grande salle où les domestiques du roi

« PreviousContinue »