conséquences qui peuvent en résulter, et ne le prononcez que lorsque vous serez entièrement convaincue que vous pourrez l'accomplir sans nuire à votre bonheur.

Je vais vous citer ici un trait qui vous fera voir combien il est inconséquent de faire des sermens sans s'inquiéter des résultats où ils peuvent nous conduire, ou plutôt sans savoir s'ils ne seront pas entièrement au-dessus de nos forces et de notre volonté.

Idoménée, roi de l'île de Crête, fils de Deucalion, et l'un des amans d'Hélène, femme de Ménélas, roi de Sparte, fut du nombre des princes grecs qui s'embarquérent pour aller faire le siége de la ville de Troye : ce siége l'un des plus fameux de l'antiquité et qui dura dix ans. Retournant dans ses foyers, Idoménée fut, comme ses compagnons d'armes, en butte aux plus grands dangers.Un jour qu'il se trouvait exposé à une violente

tempête et que la mort lui paraissait presque inévitable, pour apaiser Neptune, il fit vœu de lui sacrifier le premier être vivant qui se présenterait à lui en abordant au rivage; mais entendons-le lui-même faire le récit de ses malheurs :

"Une effroyable nuit sur les eaux répandue
« Déroba tout-à-coup les objets à ma vue ;
«La mort seule y parut... Le vaste sein des mers
« Nous entr'ouvrit cent fois la route des enfers.
«Par des vents opposés les vagues ramassées,
« De l'abîme profond jusqu'au ciel élancées,
<< Dans les airs embrasés agitaient mes vaisseaux.
« Aussi près d'y périr qu'à fondre sur les eaux,

« D'un déluge de feux l'onde comme allumée,

Semblait rouler sur nous une mer enflammée,

« Et Neptune en courroux, à tant de malheureux ་་ N'offrait pour tout salut que des rochers affreux. « Pour apaiser les Dieux, je priai, je promis...

Non, je ne promis rien: Dieux cruels, j'en frémis...

་་

Neptune, l'instrument d'une indigne faiblesse,

«S'empara de mon cœur et dicta la

promesse.

« S'il n'en eût inspiré le barbare dessein,

« Non, je n'aurais jamais promis de sang humain.
Sauve des malheureux si voisins du naufrage,

« Dieu puissant, m'écriai-je, et rends-nous au rivage.
« Le premier des sujets rencontré par son Roi,
« A Neptune immolé satisfera pour moi....
« Mon sacrilége vœu rendit le calme à l'onde,

«Mais rien ne put le rendre à ma douleur profonde, « Et l'effroi succédant à mes premiers transports, sentis glacer en revoyant ces bords;

"< Je me

«Je les trouvai déserts, tout avait fui l'orage; « Un seul homme alarmé parcourait le rivage, « Il semblait de ses pleurs mouiller quelques débris; « J'en approche en tremblant....élas! c'étaitmon fils.

(CRÉBILLON. TRAG. D'IDOMÉNÉE. )

Ce prince infortuné, comme vous devez le penser, se repentit bientôt de son vœu téméraire; mais quels que fussent ses remords et son désespoir, il avait promis aux Dieux. Il se vit par conséquent dans la cruelle extrémité de leur sacrifier son fils. A ce sujet, Crébillon lui fait encore dire:

« Hélas! du coup affreux qui termine ton sort << N'attends point d'autres fruits que celui de ma mort. « Die ux cruels, fallait-il qu'une injuste vengeance, « Pour me punir d'un crime, opprimât l'innocence.

Voilà donc quelles sont les suites funestes d'un serment indiscret. Cette leçon devrait servir d'exemple à tous ceux qui ont assez peu de prudence et de raison pour former des vœux sans avoir bien pesé mûrement les conséquences auxquelles ils peuvent nous entraîner. Je pourrais vous citer beaucoup d'autres personnages dont les sermens ont été suivis d'événemens aussi tragiques; mais comme ces exemples n'ajouteraient rien à l'émotion et à la pitié que vous ont dû inspirer les malheurs d'Idoménée, je me crois dispensé de continuer à vous entretenir de récits aussi déplorables, persuadé que vous saurez tirer une grande utilité de l'événement que je vous ai raconté.

LETTRE XXXII.

PIERRE-LE-GRAND.

IL est des hommes, ma chère Laure, que la nature semble avoir destinés à offrir au monde épouvanté l'alliage monstrueux des plus grands talens réunis aux crimes les plus atroces, ensorte que l'on ne sait si l'on doit plus les admirer que les exécrer. Du nombre de ces mortels extraordinaires, se trouve le Czar Pierre, dont vous avez sans doute entendu déjà parler.

Cet empereur de Russie, que l'on a placé au rang des plus grands hommes, le méritait à beaucoup d'égards ; il réforma de grands abus, fonda une marine imposante, fit creuser des canaux, entr'autres celui qui joint la mer Caspienne au golfe de Finlande. Il cons