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« Déchiré devant elle, et ma main dégoultante a Confondrait dans son sang le sang de son amante. »

Dans une autre scène, il ordonne à Corasmin de se rendre auprès de Zaïre : « Cours chez elle à l'instant ; va, vole, Corasmin, << Montre-lui cet écrit. Qu'elle tremble, et soudain « De cent coups de poignard que l'infidèle meure. «Mais avant de frapper... Ah! cher ami demeure.. «Demeure, il n'est pas temps; je veux que ce chrétien

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Devant elle amené... Non, je ne veux plus rien... « Je me meurs... je succombe à l'excès de ma rage. »

Quoique cette pièce toute entière ne soit qu'une fiction, elle n'en donne pas moins une effrayante idée de la fureur où peut se porter une ame égarée par la jalousie. Rien ne saurait arrêter un homme jaloux dans sa vengeance; respects, nature, intérêts, il foule tout aux pieds, pour n'écouter que sa frénésie. J'en donne ici pour exemple Néron, ce farouche empereur romain qui, vertueux jusqu'alors, n'hésita pas à faire

empoisonner Britannicus son frère, dès le moment où il vit en lui un rival.

L'un des plus grands poëtes qui aien jamais existé, celui qui surtout connut et pratiqua le mieux l'art, souvent affligeant, de peindre l'homme tel qu'il est, Jean Racine met ces vers dans la bouche d'Hermione:

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Quel plaisir de venger moi-même mon injure, * De retirer mon bras teint du sang du parjure; « Et pour rendre sa peine et mes plaisirs plus grands, << De cacher ma rivale à ses regards mourans !

Ah! si du moins Oreste, en punissant son crime, << Lui laissait le regret de mourir ma victime !..... « Va le trouver: dis-lui, qu'il apprenne à l'ingrat « Qu'on l'immole à ma haine et non pas à l'état. « Chère Cléone, cours: ma vengeance est perdue, S'il ignore en mourant que c'est moi qui le tue. »

Telles sont, Mademoiselle, les funestes effets de la jalousie. Vous le voyez avec moi par ces vers de Racine. La personne la plus incapable de com

mettre une action qui la déshonore reproduit, aussitôt que ce sentiment siége dans son cœur, la boîte de Pandore, d'où sortirent tous les maux.

LETTRE XXX.

CAMILLE.

POUR mériter le nom de héros, Mademoiselle, il ne suffit pas d'avoir beaucoup de courage, de réussir dans ses entreprises, et de dompter ses ennemis, il faut encore savoir se dompter soimême, et sacrifier ses ressentimens particuliers à l'intérêt de sa patrie. Celui-là seulement est un grand homme, qui, mettant sa gloire et son bonheur dans le bonheur et la gloire de ses concitoyens, sait les sauver encore malgré leurs injustices, et ne se venge des caprices du peuple qu'en lui rendant des services plus éclatants.

Pour vous faire mieux sentir la vérité de ce que je viens de dire, je veux vous

raconter un trait historique, qui vient à l'appui de ces réflexions; je le puise encore chez les Romains, cette nation qui semble avoir été destinée à donner à l'univers des exemples de toutes les vertus civiques et militaires.

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Camille, le modèle des héros et la terreur des ennemis de Rome, avait été nommé dictateur, dignité temporaire à laquelle on n'avait recours que dans les dangers imminens; respecté et admiré par les Romains autant qu'il était craint au dehors, ce grand homme n'avait d'autre désir que la prospérité et l'indépendance de sa patrie. Cependant en butte à la jalousie et à la calomnie, Cas mille ne tarda pas à perdre la faveur populaire; la prise qu'il fit de la ville ⚫ de Veïes acheva d'acharner ses ennemis contre lui, il fut accusé devant l'assem blée du peuple d'avoir détourné du pillage de Veïes certaines portes en bronze que l'on avait vues chez lui. Etonné dé

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