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Ou je me trompe fort, mademoiselle, ou vous demanderez en achevant cette lecture comment il se peut que ceux qui tiennent en main le pouvoir en fassent un si horrible usage, quand d'un mot ils pourraient dispenser le bonheur à la multitude quiles entoure; cette réflexion que vous faites, le prince des philosophes l'a faite comme vous. Il y a soixante ans que J.-J. Rousseau disait : Je n'ai jamais tant détesté les grands que depuis que je suis convaincu du peu de bonté qu'il leur faudrait pour se faire adorer comme des dieux.

« Qu'a fait cette Eponine à l'échafaud conduite? « Dans un obscur réduit, où dérobant sa fuite, << Sabinus d'un tyran brava dix ans les coups, « Elle vient partager les périls d'un époux, « De l'amour conjugal, ô mémorable exemple! «Par elle un souterrain du bonheur fut le temple. « Aux yeux de Sabinus elle sut chaque jour «Embellir par ses soins le plus affreux séjour, « Des plus sombres échos lui charma la trist esse,

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En les adoucissant des sons de la tendresse,

Et du roc qui, la nuit les recevait tous deux, «Fit la couche riante où l'hymen est heureux.

Sans doute Vespasien s'est couvert d'infamie par le supplice d'Eponine. Vespasien par ce crime a rassemblé sur sa tête tout cet opprobre qu'avant et après lui d'autres monstres ont attaché au titre d'empereur romain; mais de quel brillant éclat ne s'est pas couverte à son tour l'héroïque épouse qu'il frappa de sa rage? Le noble sang d'Eponine a coulé sous ses mains féroces, mais la postérité, cette divinité des grands cœurs, a pris l'auguste soin d'en éterniser le souvenir.

LETTRE XXIX.

LA JALOUSIE.

GRACE à l'innocence de votre âge vous ignorez, Mademoiselle, les maux affreux de la jalousie. Que je plains le malheureux que la jalousie dévore! il ne saurait jouir d'un moment de repos, et tout ce que voient ses yeux ne sert qu'à redoubler son supplice.

Boileau qui dans ses satires frappe d'un fouet sanglant toutes les faiblesses de l'humanité, a peint de couleurs vraies les effets de cette passion :

Et puis, quelque douceur dont brille ton épouse,
Penses-tu, si jamais elle devient jalouse,
Que son ame livrée à ses tristes soupçons,
De la raison encore écoute les leçons?

Alors, Alcipe, alors tu verras de ses œuvres :
Résous-toi pauvre époux, à vivre de couleuvres;

A la voir tous les jours, dans ses fougueux accès,

A ton geste, à ton rire, intenter un procès ;
Souvent de ta maison gardant les avenues,
Les cheveux hérissés t'attendre au coin des rues;

Te trouver en des lieux de vingt portes fermés,

Et partout où tu vas,

dans ses yeux

enflaminés

T'offrir, non pas d'Isis la tranquille Euménide,
Mais la vraie Alecto peinte dans l'Enéide,

Un tison à la main, chez le roi Latinus,

Soufflant sa rage au sein d'Amate et de Turnus.

La jalousie, que je compare à un poison lent, répandu dans nos veines, est causée par un excès d'amour ou d'amour-propre; dans le premier cas, elle est le prompt effet d'un soupçon bien ou mal fondé; dans le second, l'effet pur et simple d'une vanité excessive : dans l'un, comme dans l'autre, elle est également indigne d'un grand cœur. Vient-elle d'un excès d'amour? je la blâme, en cela que le soupçon qu'elle inspire est offensant pour l'objet aimé. Vient-elle d'un excès d'amour-propre ?

je la blâme davantage, parce que, si le soupçon est fondé, on doit avoir assez de dignité et de caractère, pour se défaire à l'instant d'affections flétries.

Si l'homme éprouva jamais un sentiment odieux ce sentiment fut sans doute celui qui, froidement combiné, réunit en lui seul toutes les bassesses de l'envie. J'ai peint dans ce peu de mots la jalousie née de l'amour-propre. Comme sa sœur, l'autre jalousie, elle est et fut toujours une source intarissable d'infor

tunes.

Voltaire, dans sa tragédie de Zaïre, a peint cette fureur avec une vérité frappante, lorsque Orosmane dit en parlant de Nérestan qu'il soupçonne :

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Qu'il revînt? lui, ce traître?

Qu'aux yeux de ma maîtresse il osât reparaître ? « Oui, e le lui rendrais, mais mourant, mais puni, • Mais versant à ses yeux le sang qui m'a trahi,

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