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«< ver, vous serez sa proic à votre tour, << vos mains trempées dans le sang in«< dien, se laveront dans votre sang. En << attendant, brûlez, déchirez, tourmen tez ce corps que je vous abandonne; dé<< vorez ce que la vieillesse n'en a point « consumé. » Comme il parlait ainsi un Espagnol qui ne put sans doute soutenir plus long-temps les invectives du caci que, s'empara d'un arc, et perca le vieillard d'une flèche; mortellement blessé, celui-ci regarda cet Espagnol d'un œil fier et tranquille et lui dit : « Ah! jeune << homme tu perds par ton impatience << une belle occasion d'apprendre à souf« frir. » Et il expira.

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Je ne sais ce qui frappe davantage dans ce récit, ou du courage du cacique; ou de la férocité de ses assassins, mais je sens qu'il vaut mieux mille fois mou rir comme lui que vivre comme eux.

LETTRE XXVK

MITHRIDATE.

RIEN n'est plus indigne d'un homme que le désespoir. En effet une âme élevée brave à la fois et les dangers et l'adversité; elle ne se laisse jamais entraîner à ce honteux abattement; on m'objectera peut-être qu'il est des événemens dans la vie que l'on ne saurait supporter sans se livrer au désespoir : je répondrai à cela, ma chère Laure, que telle circonstance malheureuse qui puisse survenir, on n'est jamais excusable de se laisser abattre, c'est au contraire l'occasion de montrer plus de courage et de fermeté, et souvent c'est au moment où vous désespérez de parvenir à votre but que fortune vous devient favorable. L'exem

la

ple de Mithridate pourra sans doute, mieux que tout ce que je saurais dire, vous démontrer cette incontestable vérité.

Mithridate, avec Pharnace et Xipharès, ses deux fils, marchait contre les Romains à la tête d'une formidable armée; Pharnace commandait l'aile droite, Xipharès l'aile gauche, et Mithridate le centre; le combat s'engage, Pharnace en fils ingrat et dénaturé, passe du côté des Romains; à cette nouvelle, Mithridate ne doutant plus d'une défaite certaine, et voulant éviter de tomber vivant au pouvoir des Romains, n'écoute que son désespoir : il veut essayer de faire usage du poison, mais il le trouve sans force et sans vertu; pressé pourtant de se soustraire à ses ennemis, il se plonge son épée dans le sein. Cependant,

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Xipharès toujours resté fidèle,
« Et qu'au fort du combat une troupe rebelle
Par ordre de son frère avait enveloppé,

Mais qui d'entre leurs bras à la fin échappé,

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Forçant les plus mutins et regagnant le reste,

« Heureux et plein de joie en ce moment funeste,

« A travers mille morts, ardent victorieux,
« S'était fait vers son père un chemin glorieux.

(RACINE.

Il arrive, mais quelle fut la surprise et la douleur de ce tendre fils, en voyant son père baigné dans son sang. En vain il veut le rappeler à la vie, il est trop tard, et ce héros naguère si redoutable, peut à peine articuler ces mots.:

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«J'ai vengé l'univers autant que je l'ai pu, «La mort dans ce projet m'a seule interrompu. « Ennemi des Romains et de la tyrannie, « Je n'ai point de leur joug subi l'ignominie, « Et j'ose me flatter qu'entre les noms fameux « Qu'une pareille baine a signalés contr'eux "Nul ne leur a plus fait acheter la victoire, « Ni de jours malheureux plus rempli leur histoire. « Le ciel n'a pas voulu, qu'achevant mon dessein, « Rome en cendre me vît expirer dans son sein; « Mais au moins quelquejoie en mourant me console: J'expire environné d'ennemis que j'immole ;

« Dans leur sang

odieux j'ai pu tremper mes mains, « Et mes derniers regards ont vu fuir les Romaius.

(RACINE.)

Ce fut ainsi qu'un mouvement de désespoir vint terminer les jours de ce grand capitaine, et précisément à l'instant où il était plus victorieux que jamais, à l'instant où peut-être il allait écraser la puissance des Romains, et changer la face du monde.

Vous voyez, ma chère Laure, que j'avais raison de vous dire qu'il ne faut jamais se laisser abattre par l'adversité; sans le désespoir qui s'empara de l'âme de Mithridate, ce héros eût joui, sinon pour toujours, au moins pour quelques instans, du fruit de ses travaux, que le plus brillant succès avait courronnés, tandis que, pour ainsi dire, au plus beau jour de sa vie, et pour un instant de faiblesse, il a vu toutes ses espérances de bonheur s'évanouir.

Je finirai cette lettre par ces deux

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