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est préparé, un énorme lion parcourt l'arène et jette partout ses regards terribles en attendant sa victime. Le bruit des clairons annonce l'arrivée de Lausus, qui un poignard d'une main et un bouclier de l'autre repousse avec courage les attaques impétueuses du lion; quand tout-à-coup, Phanor instruit de ce qui se passe, accourt, fend la presse, s'écrie : arréte Mézence! sauve ton fils. A ces mots le peuple s'élance pour secourir lejeune prince; mais déjà Lausus a frappé d'un coup mortel son terrible adver saire; l'alarme universelle se change en cris de joie, et Mézence pénétré d'admiration, accorde à son fils et la main de Lydie et la grâce de Phanor, en avouant que la valeur qu'il avait montrée était seule capable de la lui faire obtenir.

De pareils traits, Mademoiselle, n'ont pas besoin d'éloge, et je laisse à votre cœur le soin de faire les réflexions qu'ils inspirent.

LETTRE XXV.

L'HÉROÏSME DU COURAGE.

Je ne saurais vous passer sous silence, ma chère Laure, les traits sublimes que produit l'héroïsme du courage; ils sont d'autant plus admirables qu'ils surpassent pour ainsi dire toute possibilité humaine; mais avant d'entrer en matière, je dois vous faire observer que je n'entends point ici vous parler de ce courage qui fait la vertu des héros et distingue en général tous les Français, mais de ce courage qui fait supporter les mal heurs avec persévérance, la douleur avec calme, et les injustices avec résignation. Cette vertu malheureusement trop rare parmi les hommes, est digne de fixer vos regards et d'exciter toute votre admiration.

Mais il ne s'agit pas seulement de vous définir ici la différence qui existe entre le courage ordinaire et l'héroïsme du courage, il faut que je vous cite un exemple qui puisse vous donner une idée exacte du dernier et la conviction qu'aucune autre vertu n'est capable de faire mieux ressortir le caractère de l'homme et sa grandeur d'âme.

Un trait historique décrit dans les Incas, de Marmontel, mérite d'être appliqué à ce que je viens de vous dire.

Les Espagnols poursuivaient le cours de leurs succès contre les Indiens; partout il les mettaient en déroute, partout ils faisaient de ces malheureux un horrible carnage, lorsqu'un vieux cacique autrefois renommé par sa valeur et sa prudence, conseilla aux Indiens de ne point se présenter en masse à leurs ennemis, de leur abandonner même le champ de bataille; mais de se tenir sur la défensive dans un étroit vallon et de

se placer ça et là en embuscade. Le sage conseil du vieillard fut exécuté pendant la nuit; les Espagnols étonnés du silence et de la solitude qui régnaient au loin dans la plaine, furent contraints de chercher au hasard les traces de leurs ennemis, alors à l'improviste, ils recevaient des nuées de flèches sans qu'ils pussent même découvrir ceux qui les harcelaient ainsi. Pizarre leur chef dangereusement blessé et outré de colère, donna ordre de poursuivre les Indiens et d'en prendre un vivant pour savoir de lui en quel lieu on trouverait des subsistances dont la pénurie commençait à se faire sentir. Ce fut le vieux cacique qui tomba entre leurs mains; ils crurent que la faiblesse de son âge le ferait céder à leurs demandes; mais ils furent bien trompés dans leur attente, car ce stoïque vieillard ne répondit à leurs questions que par le silence; ils eurent recours aux menaces, mais il n'en fut point épouvanté. Cepen

dant l'impatience des Castillans, se changeant en fureur, ils l'attachèrent à un poteau et allumèrent à l'entour un feu lent pour le consumer. Saus perdre courage le vieillard avec un air où se peignait la fierté d'une âme libre et indé pendante, leur dit:

« Il y a soixante ans que je combats,

et je suis debout, et je n'ai pas versé « une larme. J'ai vu mes amis tomber « sous vos coups, et dans mon cœur j'ai

étouffé la plainte. J'ai vu mon fils « écrasé à mes yeux, et mes yeux pa <<ternels ne se sont point mouillés; que « me veut encore la douleur, ne sait-elle « pas qui je suis? La voilà qui pour m'é«branler rassemble enfin toute ses for

ces, et moi je l'insulte et je ris de lui « voir hâter mon trépas qui me délivre à jamais d'elle; viendra-t-elle encore agiter ma cendre? La cendre des morts << est impalpable à la douleur. Et vous, «<lâches, vous qu'elle emploie à m'éprou

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