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pouvait enfanter de plus sublime et de plus attendrissant. Jugez-en, ma bonne Laure, par la scène déchirante où Ti tus éperdu se jette aux pieds de son père :

Mais si dans les combats

J'avais suivi la trace où m'ont conduit vos pas, Si je vous imitai, si j'aimai ma patrie, D'un remords assez grand si ma faute est suivie, A cet infortuné, daignez ouvrir les bras, Dites du moins: Mon fils, Brutus në te hait pas. Ce mot seul me rendant mes vertus et ma gloire, De la honte où je suis défendra ma mémoire. On dira que Titus descendant chez les morts, Eut un regard de vous pour prix de ses remords, Que vous l'aimiez encore, et que, malgré son crime, Votre fils dans la tombe emporta votre estime. Si vous voulez, chère amie, connaître ce qu'il faut penser de la manière dont Voltaire a traité Brutus, reportez-vous à ce qu'en a dit Laharpe dans son cours de littérature :

« Il fallait, dit-il, que le génie de

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« l'auteur eût acquis bien de la force «<et bien de la maturité, pour soutenir << cette scène, tout autrement difficile « à faire qu'aucune de celles qu'il avait «< traitées; cette scène terrible où un père, un consul, Brutus en un mot, << doit envoyer son fils à la mort, et un << fils tel que Titus, dont on a jusqu'à << ce moment admiré les vertus et plaint «la faiblesse. De pareilles scènes sont << pour les connaisseurs l'épreuve et la « mesure du grand talent; ce ne sont pas «de ces situations heureuses et sédui<< santes où la médiocrité même peut «se soutenir à la faveur de l'illusion du << : théâtre ce sont de ces situations. « fortes et pénibles où le poëte est obligé « d'élever l'ame s'il veut qu'on lui par « donne d'affliger la nature. C'est là que « chaque mot doit porter coup, que le << personnage doit être continuellement «‹ à la même hauteur, pour nous y tenir << avec lui. On ne lui passerait pas ce

« qu'il fait si son langage n'était pas, <«< comme sa conduite, au-dessus d'un << homme ordinaire. >>

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Allons, que les Romains dans ces momens affreux Me tiennent lieu du fils que j'ai perdu pour eux Que je finisse au moins ma déplorable vie Comme il eût du mourir, en vengeant la patrie.

Ce noble vœu fut exaucé: Brutus périt en combattant.

LETTRE XXIII.

DE CÉSAR.

La tyrannic, ma chère Laure, est un des plus grands fléaux qui puissent affliger l'humanité; c'est elle qui soulève les peuples contre les rois, et fait attenter à leurs jours; c'est elle qui fait détester leur pouvoir, et qui entraîne le monde dans l'abîme des révolutions.

Pour justifier ce que j'avance il me suffira de vous citer une des époques les plus mémorables de l'histoire romaine.

Aussi grand capitaine que célèbre orateur, César réunissait tout pour captiver l'amour des Romains; le front chargé des lauriers qu'il avait moissonnés dans ses nombreuses conquêtes, craint et admiré pour ainsi dire de tous les peuples

qu'il avait vaincus, il n'avait plus rien à désirer qui pût ajouter à sa gloire; mais malheureusement aveuglé par une ambition qui le portait à régner en maître, César, las d'être grand homme, devint le tyran de sa patrie. Vainement Brutus lui avait dit :

Oui

que César soit grand, mais que Rome soit libre. Dieux! maitresse de l'Inde, esclave aux bords duTibre! Qu'importe que son nom commande à l'univers Et qu'on l'appelle Reine alors qu'elle est aux fers? Qu'importe à ma patrie, aux Romains que tu braves D'apprendre que César a de nouveaux esclaves? Les Persans ne sont pas nos plus fiers ennemis; Il en est de plus grand, je n'ai point d'autre avis. (VOLTAIRE.)

César mit tout en usage pour parvenir au rang suprême; les menaces et les vexations même ne furent point épar gnées à ceux des sénateurs dont la sévère opinion contrariait ses vues; entraîné par les perfides conseils d'Antoine et de ses autres courtisans, il se hâta de faire

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