clartés de la philosophie ! dans un instant, ses privations vont devenir de l'abondance, ses misères du bonheur, sa détresse du pouvoir. Un incident astronomique, une simple éclipse de lune lui en fournit les moyens. Certain que l'astronomie est inconnue aux insulaires, et parfaitement instruit de la prochaine apparition de l'éclipse, il fait savoir aux chefs des peuplades, que leur conduite irrite le Dieu des Espagnols; que dans peu, ce Dieu va manifester sa colère en voilant d'un crêpe obscur l'astre lumineux des nuits, et que bientôt après, il engloutira sous les flots écumans des mers, et l'inhumaine Jamaïque et ses criminels habitans. Probablement vous croyez qu'en syncope Mais Christophe avait de quoi les ré duire. A peine a-t-il parlé que la lune par degrés se voile à tous les yeux. Ce prodige effrayant porte à la fois la mort dans toutes les âmes; les plus incrédules sont bientôt les plus consternés : terrifiés jusqu'au fond du cœur, tous viennent aux pieds de Christophe implorer leur pardon. Régnez sur nous, lui dirent-ils, possédez tous nos biens, mais désarmez le courroux céleste. L'adroit Christophe n'avait point de temps à perdre. Voyant que l'éclipse allait cesser, il déclara que le ciel était content, et goûta depuis dans cette partie du monde tout ce que le plus puissant des rois pourrait exiger de respects et de grandeur. A qui dut-il ce superbe avantage? Vous l'avez vu, ma bonne amie; c'est à la science. Qu'un exemple si beau ne soit pas perdu pour vous. LETTRE III. DU DOUBLE DANGER DE L'IGNORANCE ET DU BEL ESPRIT. Il n'est personne aujourd'hui qui ne soit pleinement convaincu des inconvéniens de l'ignorance. Je ne vous parle pas, Laure, de cette ignorance crasse qui donne à l'écriture vulgaire l'obscurité des hiéroglyphes : une telle pensée ne peut être la mienne. L'ignorance dont je parle n'est que celle qui vous tient d'un degré au-dessous de votre rang. Par exemple, il vous arrive souvent, dans les soirées où je vous conduis, d'entendre raisonner sur la littérature: comment prendriez-vous part à la conversation si je ne vous avais donné quelques notions sur cette partie? La nécessité de connaître ses au teurs est d'autant plus urgente, qu'on ne pardonna jamais les balourdises dont ils sont l'objet. Il n'y a pas long a pas longtemps qu'une sotte me demanda si j'avais lu Fénélon par Télémaque. Jugez de ce qu'il en advint: toute l'assemblée éclata de rire, et l'ignorante est depuis ce tempslà l'objet ou le plastron de toutes les plaisanteries. C'est cette ignorance qui présida, vers le déclin du siècle dernier, à une vente de livres qui se fit dans un village de Lorraine. On y adjugea, entr'autres ouvrages excellens, une Encyclopédie en trente-neuf volumes in-4°, pour le prix de 48 sous, à un paysan, qui, ne sachant comment l'employer, s'en servit pour envelopper des fromages. C'est ainsi qu'on vendit, en 1791, la bibliothèque d'un couvent de Bretagne : là les six volumes in-folio des œuvres de Cicéron, ne trouvèrent d'enchérisseur que jusqu'à trente et un sous. , Il est une autre ignorance dont je veux vous entretenir; c'est celle de la géographie. On ne peut se figurer le quart des sottises qu'elle occasionne. Gresset se rendant à La Fère où il fut quelque temps moine, entendit la conversation de quelques paysans, qui fesaient marcher toutes les armées du monde au gré baroque de leurs rêveries politiques. Egayé par les âneries qu'il entendait, il voulut aussi déraisonner avec eux; et leur annonça comme une nouvelle trèscertaine que le grand maître des francsmaçons avait reçu de l'archevêque d'Alger l'ordre de partir avec un grand nombre d'ouvriers de son état pour aller rebâtir incessamment la grande arche du Pont-Euxin qu'un vent de bise avait rompue. Vous riez, parce que vous savez, comme moi, que le grand maître des francs-maçons est le chef d'une société, et non pas d'un métier ; que le Pont-Euxin n'est point un pont, mais |