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LETTRE XXI.

DE LA FONDATION DE ROME.

La fondation de la ville qui fit trembler toute la terre, qui régna sur la moitié des nations par l'humeur belliqueuse de ses enfans, et qui après six siècles de gloire, tomba comme en lambeaux et devint la proie facile des peuples qu'elle avait vaincus, la fondation de Rome enfin, sera, ma bonne et chère Laure, l'objet de ma lettre d'aujourd'hui.

L'an du monde 3250, et 754 ans avant la naissance de Jésus-Christ, une bande d'aventuriers qui n'avaient pour fortune que du courage et pour projets que l'envie de s'en servir, se rassembla dans les montagnes qui avoisinaient la ville d'Albe, et fonda une autre ville, qui dès ce moment fut nommée Rome,

du nom de Romulus que portait le chef de la bande.

K

«< Rome, dans son origine, dit l'abbé << Vertot, était moins une ville qu'un << camp de soldats, rempli de cabanes « et entouré de faibles murailles; sans «<lois civiles, sans magistrats, et qui «servait seulement d'asile à des aven

turiers, la plupart sans femmes et sans << enfans, que l'impunité ou le désir de « faire du butin avait réunis. Ce fut « d'une retraite de voleurs que sortirent « les conquérans de l'univers. »

Choisi par la voix publique pour roi de la nouvelle cité, Romulus attira bientôt sur lui les regards des autres rois. On vous à parlé, chère amie, du grand nombre de gardes et de licteurs qui l'accompagnaient partout, et des haches d'armes dont ces gardes et ces licteurs étaient armés, lesquelles étaient environnées de faisceaux de verges pour désigner le droit de glaive, symbole de la

souverainete; et sans doute vous en avez tiré cette conséquence naturelle, que cet appareil pompeux de la suprême puissance devait être l'effet d'un pouvoir sans limites.

Une telle conjecture est une grave, erreur. Certes des hommes qui n'avaient fui leur patrie que pour se dérober à l'oppression, avaient l'âme trop libre et trop fière pour se remettre d'euxmêmes sous le joug qu'ils avaient brisé, La liberté fut donc conciliée avec l'em. pire; et bien que reconnu pour chef de l'état, de la religion et de l'armée, Romulus n'eut d'autorité réelle que celle de convoquer le sénat et les assemblées du peuple, d'y proposer les affaires, de maicher à la tête de l'armée quand la guerre avait été resolue par un décret public, et d'ordonner de l'emploi des finances qui étaient sous la garde de deux trésoriers qu'on appela depuis questeurs. Le fond de la religion des Romains

avait de grands rapports avec l'origine de Rome. Comme on croyait communément qu'abandonné sur une montagne par sa mère qui l'avait eu du dieu Mars, Romulus avait été nourri par une louve et recueilli par des bergers, Pan, dieu des forêts, et Palès déesse des bergeries, étaient révérés dans les lupercales ou fêtes des louves. Ce fut dans Romulus un grand trait de politique que de se déclarer chef des augures; par ce moyen ildirigeait à son gré toutes les consciences, et c'est, comme tout le prouve, par ces ressorts secrets que l'on parvient à mouvoir la masse énorme des empires.

Le prince des orateurs, Cicéron disait des augures : je ne conçois pas comment ces gens-là peuvent se regarder sans rire. Tout augure qu'il était luimême, Romulus partageait cette pensée, et comme Jocaste il aurait dit :

Un ministère saint les attache aux autels;
Ils approchent des dieux, mais ils sont des mortels.

Pensez-vous qu'en effet, au gré de leur demande,
Du vol de leurs oiseaux la vérité dépende?

Que sous un fer sacré des taureaux gémissans
Dévoilent l'avenir à leurs regards perçans,

Et

que de leurs festons ces victimes ornées

Des humains dans leurs flancs portent les destinées ?

Non, non; chercher ainsi l'obscure vérité

C'est usurper les droits de la divinité.

(VOLTAIRE.)

Les premiers vœux des Romains ayant été pour la guerre, et la guerre ayant détruit une forte partie de leur population, ils commencèrent à sentir l'urgente nécessité d'avoir des éponses; et commeaucune nation de l'Italie ne les avaitjusqu'alors voulu contenter sur ce point, ils résolurent d'obtenir par la ruse et la violence, ce qu'elles avaient toujours refusé à leurs victoires et à leurs prières.

Romulus annonça donc à tous les peuples voisins qu'il allait faire célébrer dans Rome des jeux solennels en l'honneur de Neptune chevalier, et que ces

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