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LETTRE XIX.

NÉRON.

ON VOUS a peu parlé de Néron, et son nom seul vous est connu. Son nom! Ah! qui l'a entendu prononcer, s'est vu faire d'un seul mot l'histoire de tous les crimes. Qui le croirait? A son avènement au trône, Néron donna les plus belles espérances. Il diminua les impôts, il se montra généreux, il donna même des preuves de justice et de bonté. Un jour qu'on lui présentait selon l'usage la sentence d'un criminel à signer, il dit, en soupirant: Oh! que je voudrais ne pas savoir écrire ! Ce trait n'a pas été oublié par Racine:

« Un jour, il m'en souvient, le sénat équitable
« Vous pressait de souscrire à la mort d'un coupable;

Vous résistiez, seigneur, à leur sévérité, << Votre cœur s'accusait de trop de cruauté, « Et plaignant les malheurs attachés à l'Empire, « Je voudrais, disiez-vous, ne savoir pas écrire. Mais l'ivresse de Rome ne fut pas de longue durée, car dépouillant bientôt toutes les qualités qu'on chérissait en lui, Néron se montra pour la cruauté l'égal des animaux féroces.

Lorsqu'il chantait en public, ce qui lui arrivait fort souvent, il était défendu, pour quelque cause que ce fût de sortir de l'enceinte où l'on était réuni.

Des que le jour avait fait place à la nuit, il se déguisait pour courir les lieux publics et les rues ; alors, malheur à ceux qu'il rencontrait. S'ils se défendaient contre ses attaques, ils étaient impitoyablement jetés dans les égoûts; ses plaisirs étaient encore de briser et de piller les échopes, d'en emporter le butin, de le vendre à l'enchère, et de le partager entre ses complices

Heureux s'il n'eût commis que des vols; mais la soif du sang humain le dévorait, et tout ce qui pouvait l'étancher, était à ses yeux digne d'un empereur romain.

Il n'est aucun lien qu'il ne rompit par le crime. Il fit périr sous prétexte de conspiration Antonia sa sœur. Au lieu d'un remède qu'il avait promis à Burrhus, son gouverneur, pour un violent mal de gorge, il lui envoya du poison. L'apparition d'une comète chevelue qu'on regardait alors comme un présage désastreux, fut un prétexte pour lui de sacrifier une multitude d'hommes illustres; il appelait ces attentats des sacrifices expiatoires. Après avoir fait périr Britannicus, son frère, il poussa l'ingratitude et l'atrocité jusqu'à faire mourir sa mère Agrippine.

On peut à peine imaginer plus de déréglemens, d'abominations et de crimes horribles qu'on n'en trouve

dans la vie de Néron. Prodiguer toutes les richesses de l'empire, se souiller des meurtres les plus affreux, se passionner tour-à-tour pour les rôles de chanteur, de cocher, de baladin et de lutteur: voilà tous les talens qu'il déploya sur le trône; et cependant, pour régner ainsi pendant quatorze ans, il n'eut besoin que d'étouffer deux conspirations dans le sang des conjurés.

Mais las enfin de le supporter, l'univers entier conspire et se déclare contre lui. Tout le monde l'abandonne. Néron délaissé cherche des amis, et n'en trouve point: il fuit et se cache pour prolonger ses jours. Réduit à se donner la mort pour se soustraire à l'horreur du supplice, il manque de courage, et à besoin d'un bras étranger pour terminer son exécrable vie.

LETTRE XX.

SAPHO.

De toutes les qualités humaines, la plus nécessaire, ma bonne Laure, est celle d'avoir des mœurs; c'est surtout à votre sexe que cette vérité s'applique. Eussiez-vous toutes les vertus en partage, on ne vous tient compte d'aucune si vous n'avez celle-là. J'en cite pour exemple une des plus célèbres femmes de la Grèce. La tendre et harmonieuse Sapho ne put jamais parvenir qu'à inspirer des dégoûts. Voici son histoire.

Livrée de bonne heure à toutes ses passions, Sapho s'abandonna sans réserve à celles qui la portaient vers l'opprobre. Aucune femme vertueuse ne pouvait la regarder sans rougir. Partout dans Mythilène, on ne s'entretenait que

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