Page images
PDF
EPUB

poëme, intéressent surtout par le sentiment patriotique qui les a dictées. Ce mérite a été celui de Voltaire, etla Henriade en est une preuve.

LETTRE XVIII

DE L'INFLUENCE DES PRÉVENTIONS.

Pourquoi dans le grand Despréaux
Admire-t-on jusqu'au moindre hémistiche ?

C'est que

l'on ne croit pas qu'un diamant soit faux Lorsqu'il brille au doigt d'un riche.

Je ne sais, ma bonne Laure, de qui peuvent être ces vers que je connais depuis quinze ans; mais à coup sûr, le poëte ingénieux qui les fit avait une profonde connaissance du cœur humain. Qu'est-ce en effet que le jugement des hommes? souvent le simple résultat de la bonne ou mauvaise opinion qu'ils

ont conçue.

Un roi de France, dont vous trouverez le nom dans tous les historiens, avait défendu aux femmes de mauvaises

mœurs de paraître en public autrement qu'avec une ceinture de galon d'or. Cette ceinture était plus riche et plus éclatante que celle des dames les plus respectées; mais celles-ci s'en consolerent aisément par l'infamie attachée à celle qu'on leur interdisait; et delà, ma bonne amie, ce proverbe si sage qu'on trouve encore dans toutes les bouches : Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée.

S'il était vrai, comme on le dit, que le hasard fût au moins pour moitié dans les jugemens humains, il ne resterait plus rien pour l'innocence, car la prévention absorberait tout le reste. A-t-on bonne opinion de vous? quoi que vous fassiez de mal, si ce mal n'est pas trop évident, on se garde bien de vous l'attribuer, et tous les soupçons vont tombant sur celui qui, bien qu'innocent, a contre lui le vernis de sa réputation. Mais cette bonne opinion, ce suprême

que

avantage devant lequel tous les autres ne sont rien, comment peut-on l'inspirer ou l'obtenir? Comment? Par des vertus réelles, et non par une trompeuse. apparence de vertu. L'amour de ses semblables est la première de toutes: c'est de celle-là toutes les autres pro. viennent : si vous aimez votre prochain, vous ne ferez rien, absolument rien qui ne tourne au profit du bien général, et qui, par un juste retour, ne devienne ensuite un bien pour vous-même; car, quoi qu'en aient dit certains esprits atrabilaires, le sentiment de la reconnaissance est naturel à tous les cœurs.

Je reviens aux préventions. Pour vous prouver combien elles ont d'empire, je ne vous citerai qu'un fait, et ce fait, je l'extrais littéralement d'un petit ouvrage assez répandu: « L'abbé Régnier, se«crétaire de l'académie française, y « faisait un jour dans son chapeau la « collecte d'une pistole, que chaque

«

<< membre devait fournir pour une dé"pense commune. Cet abbé ne s'étant « pas aperçu que le président Rose, homme fort avare, eût mis dans le chapeau, ille lui présenta une seconde << fois. Celui-ci assura qu'il avait donné. « Je le crois, dit l'abbé Régnier, mais je ne l'ai pas vu. Et moi, ajouta « Fontenelle qui était à côté, je l'ai vu, mais je ne le crois pas, »

Tout cela est naturel. Un avare donner son argent! non-seulement on ne peut se figurer qu'il l'ait fait; mais en eût-on mille fois la certitude, on ne peut croire qu'il l'ait fait sans un motif d'avarice inhérent à son caractère. Il en est de même pour toutes les mauvaises réputations qui veulent devenir bonnes; le peu de bien qu'elles font est longtemps mal interprêté; il n'y a qu'une longue persévérance qui puisse faire revenir sur leur compte. Adieu.

« PreviousContinue »