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LETTRE XVI.

DE LA PIÉTÉ FILIALE.

PARCOURANT un jour les annales du Japon, j'ai trouvé, ma chère Laure, un trait de piété filiale qui m'a frappé. Chérir ceux dont on tient la vie et le bonheur, Les adorer, ma Laure, est naturel sans doute Mais n'a-t-on jamais vu de cœur

Etouffer la nature et prendre une autre route?

Voici où je veux en venir. Un gros vol avait été commis, et l'autorité du pays promettait une récompense à qui lui amènerait le coupable. A l'instant, trois malheureux frères font cette réflexion: Notre mère, dirent-ils, souffre sur un grabat toutes les horreurs du besoin, mettons un terme à ses maux en nous sacrifiant pour elle; l'un de nous consentira à passer pour voleur, et les

deux autres pour dénonciateurs; ceux-ci toucheront la récompense promise et la porteront ensuite à notre mère qui succombe.

Il convient ici d'observer une particularité, c'est que la piété filiale est une vertu tellement supérieure aux autres, qu'elle efface à elle seule toute l'horreur des supplices et tout l'odieux de l'infamie. Vous voyez cet infortuné jeune homme, il va gaîment livrer sa tête aux bourreaux, et voit avec orgueil l'ignominie dont il a souillé sa mémoire. Pourquoi? c'est qu'il a dans son cœur le noble témoignage d'une conscience pure; c'est qu'avec ce témoignage, il porte en luimême celui de mourir pour sa mère. Il se dit alors :

Qui m'a nourri de son sein caressant
Et protégé dans cet âge innocent
Ou le léger berceau retenait prisonnière
De mes tremblantes mains la volonté première?

Qui, sur mon front timide avec un doux accent

Déposait d'un baiser la faveur salutaire ?

Ma mère.

Quand le sommeil abandonnait mes yeux,
Qui me chantait d'une voix familière,
Tendres chansons, pavots de ma paupière ;
Et me berçant d'un bras officieux,
Readait à mes esprits ce calme précieux,
Baume consolateur de l'humaine misère?
Ma mère.

Quand mon jeune âge grandissant,
Je passai de l'enfance à l'âge adolescent,
Qui m'instruisait à la prière ?

Qui m'apprit à bénir le nom du Tout-Puissant,

A suivre des vertus le sentier solitaire,

Et du savoir le chemin nourrissant ?

Ma mère.

(ALBERT-MONTÉMONT.)

Voilà, ma chère amie, les réflexions qu'il se fait ; et observez encore un point, c'est que son trait est si beau, que la fourberie sur laquelle ce trait est fondé ne se présente point à votre esprit. Je dis plus, vous enviez, s'il doit

mourir, l'honneur de mourir comme

lui.

Mourut-il, en effet ? le ciel ne le permit pas. Instruite à temps, et de son stratagême, et de ses dangers, sa malheureuse mère courut tout apprendre aux juges! Il allait périr, et déjà le fatal cimeterre planait sur sa tête : à l'instant, juges, gardes et citoyens, sont confondus à ses piels; le bourreau même qui allait trancher sa vie, est tout surpris de se sentir un cœur.

LETTRE XVII.

DU POEME DES JARDINS.

L'UN des poëmes les plus distingués de notre langue, le poëme des Jardins que nous devons à l'abbé Delille, doit lui-même le jour à une particularité que je me plais à vous faire connaître.

Delille, se trouvant dans les beaux jours de l'année, chez madame Lecouteux de Moley qui habitait la Malmaison, avait conçu pour cette dame un peu plus que de l'amitié. Doué sans mesure d'un admirable talent pour les vers, il exprimait chaque jour à son amie les divers sentimens de son cœur, et toujours sous le voile ingénieux d'une allégorie dont les jardins et les champs paraissaient être le seul objet.

Ce commerce enchanteur dura jus

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