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Des portraits.

LES portraits montrent encore bien fouvent plus d'envie de briller que d'inftruire. Des contemporains font en droit de faire le portrait des hommes d'Etat avec lefquels ils ont négocié, des généraux fous qui ils ont fait la guerre. Mais qu'il eft à craindre que le pinceau ne foit guidé par la paffion! Il paraît que les portraits qu'on trouve dans Clarendon font faits avec plus d'impartialité, de gravité & de fageffe que ceux qu'on lit avec plaifir dans le cardinal de Retz.

Mais vouloir peindre les anciens, s'efforcer de développer leurs ames, regarder les événemens comme des caractères avec lefquels on peut lire furement dans le fond des cœurs, c'est une entreprise bien délicate, c'est dans plufieurs une puérilité.

De la maxime de Cicéron concernant l'hiftoire; que T'hiftorien n'ofe dire une fauffeté, ni cacher une vérité.

La première partie de ce précepte eft inconteftable; il faut examiner l'autre. Si une vérité peut être de quelque utilité à l'Etat, votre filence eft condamnable. Mais je fuppofe que vous écriviez l'hiftoire d'un prince qui vous aura confié un fecret, devez-vous le révéler? Devez-vous dire à la poftérité ce que vous feriez coupable de dire en fecret à un feul homme? Le devoir d'un hiftorien l'emportera-t-il fur un devoir plus grand?

Je fuppofe encore que vous ayez été témoin d'une faibleffe qui n'a point influé fur les affaires publiques, devez-vous révéler cette faibleffe? En ce cas l'hiftoire ferait une fatire.

Il faut avouer que la plupart des écrivains d'anecdotes font plus indifcrets qu'utiles. Mais que dire de ces compilateurs infolens qui, fe fefant un mérite de médire, impriment & vendent des scandales comme la Voifin vendait des poisons?

De l'hiftoire fatirique.

SI Plutarque a repris Hérodote de n'avoir pas assez relevé la gloire de quelques villes grecques, & d'avoir omis plufieurs faits connus dignes de mémoire, combien font plus repréhenfibles aujourd'hui ceux qui, fans avoir aucun des mérites d'Hérodote, imputent aux princes, aux nations, des actions odieufes, fans la plus légère apparence de preuve? La guerre de 1741 a été écrite en Angleterre. On trouve dans cette hiftoire qu'à la bataille de Fontenoi les Français tirerent fur les Anglais avec des balles empoiJonnées & des morceaux de verre venimeux, & que le duc de Cumberland envoya au roi de France une boite pleine de ces prétendus poifons trouvés dans les corps des Anglais bleffés. Le même auteur ajoute que les Français ayant perdu quarante mille hommes à cette bataille, le parlement de Paris rendit un arrêt par lequel il était défendu d'en parler fous des peines corporelles.

Les mémoires frauduleux imprimés depuis peu fous le nom de madame de Maintenon, font remplis de pareilles abfurdités. On y trouve qu'au fiége de

Lille les alliés jetaient des billets dans la ville, conçus en ces termes : Français, confolez-vous, ta Maintenon ne fera pas votre reine.

Prefque chaque page eft fouillée d'impostures & de termes offenfans contre la famille royale & contre les familles principales du royaume, fans alléguer la plus légère vraisemblance qui puiffe donner la moindre couleur à ces menfonges. Ce n'eft point écrire l'hiftoire, c'est écrire au hafard des calomnies qui méritent le carcan.

On a imprimé en Hollande, fous le nom d'Hiftoire, une foule de libelles, dont le ftyle eft auffi groffier que les injures, & les faits auffi faux qu'ils font mal écrits. C'eft, dit-on, un mauvais fruit de l'excellent arbre de la liberté. Mais fi les malheureux auteurs de ces inepties ont eu la liberté de tromper les lecteurs, il faut ufer ici de la liberté de les détromper.

L'appât d'un vil gain, joint à l'infolence des mours abjectes, furent les feuls motifs qui engagèrent ce réfugié languedochien protestant, nommé Langlevieux, dit la Baumelle, à tenter la plus infame manœuvre qui ait jamais déshonoré la littérature. Il vend pour dix-sept louis d'or au libraire Eflinger de Francfort en 1753 l'hiftoire du fiècle de Louis XIV, qui ne lui appartient point; & foit pour s'en faire croire le propriétaire, foit pour gagner fon argent, il la charge de notes abominables contre Louis XIV, contre fon fils, contre le duc de Bourgogne fon petitfils, qu'il traite fans façon de perfide & de traître envers fon grand-père & la France. Il vomit contre le duc d'Orléans régent les calomnies les plus horribles & les plus abfurdes; perfonne n'eft épargné,

& cependant il n'a jamais connu perfonne. Il débite fur les maréchaux de Villars, de Villeroi, fur les miniftres, fur les femmes, des hiftoriettes ramaffées dans des cabarets ; & il parle des plus grands princes comme de ses jufticiables. Il s'exprime en juge des rois : Donnez-moi, dit-il, un Stuart, & je le fais roi d'Angleterre.

Cet excès de ridicule dans un inconnu n'a pas été relevé : il eût été févèrement puni dans un homme dont les paroles auraient eu quelque poids. Mais il faut remarquer que fouvent ces ouvrages de ténèbres ont du cours dans l'Europe; ils fe vendent aux foires de Francfort & de Leipfick; tout le Nord en eft inondé. Les étrangers qui ne font pas inftruits croient puifer dans ces libelles les connaiffances de l'hiftoire moderne. Les auteurs allemands ne font pas toujours en garde contre ces mémoires, ils s'en fervent comme de matériaux ; c'eft ce qui eft arrivé aux mémoires de Pontis, de Montbrun, de Rochefort, de Vordac; à tous ces prétendus teftamens politiques des miniftres d'Etat, compofés par des fauffaires ; à la Dixme royale de Boifguilbert impudemment donnée fous le nom du maréchal de Vauban, & à tant de compilations d'ana & d'anecdotes.

L'hiftoire eft quelquefois encore plus mal traitée en Angleterre. Comme il y a toujours deux partis affez violens qui s'acharnent l'un contre l'autre jufqu'à ce que le danger commun les réuniffe, les écrivains d'une faction condamnent tout ce que les autres approuvent. Le même homme eft représenté comme un Caton & comme un Catilina. Comment démêler le vrai entre l'adulation & la fatire? Il n'y

a peut-être qu'une règle fûre, c'eft de croire le bien qu'un hiftorien de parti ofe dire des héros de la faction contraire, & le mal qu'il ofe dire des chefs de la fienne, dont il n'aura pas à fe plaindre.

A l'égard des mémoires réellement écrits par les perfonnages intéreffés, comme ceux de Clarendon, de Ludlow, de Burnet en Angleterre, de la Rochefoucauld, de Retz en France; s'ils s'accordent, ils font vrais ; s'ils fe contrarient, doutez.

Pour les ana & les anecdotes, il y en a un fur cent qui peut contenir quelque ombre de vérité.

SECTION I V.

De la méthode, de la manière d'écrire l'hiftoire, & du ftyle.

ON en a tant dit fur cette matière, qu'il faut ici en dire très-peu. On fait affez que la méthode & le ftyle de Tite-Live, fa gravité, fon éloquence fage, conviennent à la majefté de la république romaine; que Tacite eft plus fait pour peindre des tyrans, Polybe pour donner des leçons de la guerre, Denis d'Halycarnaffe pour développer les antiquités.

Mais en fe modelant en général fur ces grands maîtres, on a aujourd'hui un fardeau plus pefant que le leur à foutenir. On exige des hiftoriens modernes plus de détails, des faits plus conftatés, des dates précifes, des autorités, plus d'attention aux ufages, aux lois, aux mœurs, au commerce, à la finance, à l'agriculture, à la population: il

en

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