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l'un à l'autre par la queue, & tua mille Phéniciens avec une mâchoire d'âne, de laquelle il fortit une belle fontaine d'eau pure, qui a été très-bien représentée à la comédie italienne.

Voilà de votre aveu quatre-vingt-feize ans de captivité dans la terre promife. Or il eft très-probable que les Tyriens qui étaient les facteurs de toutes les nations, & qui navigeaient jufque fur l'Océan, achetèrent plufieurs esclaves juifs, & les menèrent à Cadix qu'ils fondèrent. Vous voyez que vous êtes bien plus anciens que vous ne penfiez. Il est très-probable en effet que vous avez habité l'Espagne plufieurs fiècles avant les Romains, les Goths, les Vandales & les Maures.

Non-feulement je suis votre ami, votre frère, mais de plus votre généalogiste.

Je vous supplie, Meffieurs, d'avoir la bonté de croire que je n'ai jamais cru, que je ne crois point & que je ne croirai jamais que vous foyez defcendus de ces voleurs de grand chemin à qui le roi Actifan fit couper le nez & les oreilles, & qu'il envoya, felon le rapport de Diodore de Sicile, (e) dans le défert qui eft entre le lac Sirbon & le mont Sinaï; défert affreux où l'on manque d'eau & de toutes les chofes néceffaires à la vie. Ils firent des filets pour prendre des cailles qui les nourrirent pendant quelques femaines, dans le temps du paffage des oiseaux.

Des favans ont prétendu que cette origine s'accorde parfaitement avec votre hiftoire. Vous dites vous-mêmes que vous habitâtes ce défert, que vous y manquâtes d'eau, que vous y vécûtes de cailles, qui en effet у font très-abondantes. Le fond de vos récits femble (e) Diodore de Sicile, liv. I, feat. II, chap. XII.

confirmer celui de Diodore de Sicile; mais je n'en crois que le Pentateuque. L'auteur ne dit point qu'on vous ait coupé le nez & les oreilles. Il me femble même (autant qu'il m'en peut fouvenir, car je n'ai Diodore fous ma main) qu'on ne vous coupa que le nez. Je ne me fouviens plus où j'ai lu que les oreilles furent de la partie; je ne fais point fi c'est dans quelques fragmens de Manéthon, cité par faint Ephrem.

pas

Le fecrétaire qui m'a fait l'honneur de m'écrire en votre nom a beau m'affurer que vous volâtes pour plus de neuf millions d'effets en or monnayé ou orfévri, pour aller faire votre tabernacle dans le défert, je foutiens que vous n'emportâtes que ce qui vous appartenait légitimement, en comptant les intérêts à quarante pour cent, ce qui était le taux légitime.

Quoi qu'il en foit, je certifie que vous êtes d'une très-bonne noblesse, & que vous étiez seigneurs d'Hershalaïm, long-temps avant qu'il fût queftion dans le monde de la maifon de Suabe, de celle d'Anhalt, de Saxe & de Bavière.

Il fe peut que les nègres d'Angola, & ceux de Guinée foient beaucoup plus anciens que vous, & qu'ils aient adoré un beau ferpent avant que les Egyptiens aient connu leur Ifis, & que vous ayez habité auprès du lac Sirbon; mais les nègres ne nous ont pas encore communiqué leurs livres.

TROISIEME

LETTR E.

Sur quelques chagrins arrivés au peuple de DIEU.

LOIN de vous accuser, Meffieurs, je vous ai toujours regardés avec compaffion. Permettez-moi de vous rappeler ici ce que j'ai lu dans le difcours préliminaire de l'Effai fur les mœurs & l'efprit des nations, & fur l'Hiftoire générale. On y trouve deux cents trenteneuf mille vingt juifs égorgés les uns par les autres, depuis l'adoration du veau d'or jufqu'à la prise de l'arche par les Philiftins; laquelle coûta la vie à cinquante mille foixante & dix juifs pour avoir ofé regarder l'arche ; tandis que ceux qui l'avaient prise fi infolemment à la guerre en furent quittes pour des hémorrhoïdes & pour offrir à vos prêtres cinq rats d'or, & cinq anus d'or. (f) Vous m'avouerez que deux cents trente-neuf mille vingt hommes maffacrés par vos compatriotes, fans compter tout ce que vous perdites dans vos alternatives de guerre & de fervitude, devaient faire un grand tort à une colonie naiffante.

Comment puis-je ne vous pas plaindre en voyant dix de vos tribus abfolument anéanties, ou peut-être

(f) Plufieurs théologiens, qui font la lumière du monde, ont fait des commentaires fur ces rats d'or & fur ces anus d'or. Ils difaient que les metteurs-en-œuvre philiftins étaient bien adroits, qu'il eft très-difficile de sculpter encore un trou du cul bien reconnaissable fans y joindre deux feffes, & que c'était une étrange offrande au Seigneur qu'un trou du cul. D'autres théologiens disaient que c'était aux sodomites à préfenter cette offrande. Mais enfin ils ont abandonné cette difpute. Ils s'occupent aujourd'hui de convulfions, de billets de confeffion & d'extrême-onЯion donnée la baïonnette au bout du fufil.

réduites à deux cents familles, qu'on retrouve, dità la Chine & dans la Tartarie ?

Pour les deux autres tribus, vous favez ce qui leur eft arrivé. Souffrez donc ma compaffion, & ne m'imputez pas de mauvaise volonté.

QUATRIEME

LETTRE.

Sur la femme à Michas.

TROUVEZ bon que je vous demande ici quelques éclairciffemens fur un fait fingulier de votre histoire. Il eft peu connu des dames de Paris & des perfonnes du bon ton.

Il n'y avait pas trente- huit ans que votre Moïse était mort, lorsque la femme à Michas de la tribu de Benjamin, perdit onze cents cycles, qui valent, dit-on, environ fix cents livres de notre monnaie. Son fils les lui rendit, (g) fans que le texte nous apprenne s'il ne les avait pas volés. Auffitôt la bonne juive en fait faire des idoles, & leur conftruit une petite chapelle ambulante felon l'usage. Un lévite de Bethleem s'offrit pour la deffervir moyennant dix francs par an, deux tuniques, & bouche à cour, comme on difait autrefois.

Une tribu alors ( qu'on appela depuis la Tribu de Dan) paffa auprès de la maifon de la Michas, en cherchant s'il n'y avait rien à piller dans le voisinage. Les gens de Dan fachant que la Michas avait chez elle un prêtre, un voyant, un devin, un rhoé, s'enquirent (g) Juges, chap. XXVII.

de lui fi leur voyage ferait heureux, s'il y aurait quelque bon coup à faire. Le lévite leur promit un plein fuccès. Ils commencèrent par voler la chapelle de la Michas, & lui prirent jufqu'à fon lévite. La Michas & fon mari eurent beau crier : Vous emportez mes dieux, & vous me voler mon prêtre, on les fit taire, & on alla mettre tout à feu & à fang par dévotion dans la petite bourgade de Dan, dont la tribu prit le nom.

Ces flibustiers confervèrent un grande reconnaisfance pour les dieux de la Michas qui les avaient fi bien fervis. Ces idoles furent placées dans un beau tabernacle. La foule des dévots augmenta, il fallut un nouveau prêtre, il s'en préfenta un.

Ceux qui ne connaiffent pas votre hiftoire ne devineront jamais qui fut ce chapelain, vous le favez, Meffieurs, c'était le propre petit-fils de Moïfe, un nommé Jonathan, fils de Gerfom, fils de Moïfe & de la fille à Jéthro.

Vous conviendrez avec moi que la famille de Moïse était un peu fingulière. Son frère à l'âge de cent ans jette un veau d'or en fonte & l'adore ; fon petit - fils se fait aumônier des idoles pour de l'argent. Cela ne prouverait-il pas que votre religion n'était pas encore faite, & que vous tâtonnâtes long-temps avant d'être de parfaits ifraëlites tels que vous l'êtes aujourd'hui ?

Vous répondez à ma question que notre St Pierre Simon Barjone en a fait autant, & qu'il commença fon apoftolat par renier fon maître. Je n'ai rien à repliquer, finon qu'il faut toujours se défier de foi. Et je me défie fi fort de moi-même, que je finis ma lettre en vous affurant de toute mon indulgence, & en vous demandant la vôtre.

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