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Obfervez l'hémiftiche, & redoutez l'ennui
Qu'un repos uniforme attache auprès de lui.
Que votre phrafe heureufe, & clairement rendue,
Soit tantôt terminée, & tantôt fufpendue;

C'eft le fecret de l'art. Imitez ces accens
Dont l'aifé Geliotte avait charmé nos fens.
Toujours harmonieux, & libre fans licence,
Il n'appéfantit point fes fons & fa cadence.
Sallé, dont Terpficore avait conduit les pas,
Fit fentir la mefure, & ne la marqua pas.

Ceux qui n'ont point d'oreilles n'ont qu'à confulter feulement les points & les virgules de ces vers, ils verront qu'étant toujours partagés en deux parties égales, chacune de fix fyllabes, cependant la cadence y est toujours variée, la phrase y eft contenue ou dans un demi-vers, ou dans un vers entier, ou dans deux. On peut même ne compléter le fens qu'au bout de fix vers ou de huit; & c'eft ce mélange qui produit une harmonie dont on eft frappé, & dont peu de lecteurs voient la cause.

Plufieurs dictionnaires difent que l'hémiftiche eft la même chofe que la céfure. Mais il y a une grande différence. L'hémiftiche est toujours à la moitié du vers. La céfure qui rompt le vers eft par-tout où elle coupe la phrase.

Tiens le voilà. marchons. il eft à nous. viens, frappe.

Prefque chaque mot eft une céfure dans ce vers.

Hélas quel est le prix des vertus? la fouffrance.

La céfure eft ici à la neuvième fyllabe.

Dans les vers de cinq pieds ou de dix fyllabes, il n'y a point d'hémistiche, quoi qu'en difent tant de dictionnaires; il n'y a que des céfures, on ne peut couper ces vers en deux parties égales de deux pieds & demi.

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On en voulut faire autrefois de cette espèce, dans le temps qu'on cherchait l'harmonie qu'on n'a que très-difficilement trouvée. On prétendait imiter les vers pentamètres latins, les feuls qui ont en effet naturellement cet hémiftiche. Mais on ne fongeait pas que les vers pentamètres étaient variés par les fpondées & par les dactyles; que leurs hémiftiches pouvaient contenir ou cinq ou fix ou fept fyllabes. Mais ce genre de vers français, au contraire, ne pouvant jamais avoir que des hémiftiches de cinq fyllabes égales; & ces deux mefures étant trop courtes & trop rapprochées, il en réfultait néceffairement cette uniformité ennuyeufe qu'on ne peut rompre comme dans les vers alexandrins. De plus, le vers pentamètre latin, venant après un hexamètre, produifait une variété qui nous manque.

Ces vers de cinq pieds à deux hémistiches égaux pourraient fe fouffrir dans des chanfons; ce fut pour la mufique que Sapho les inventa chez les Grecs, & qu'Horace les imita quelquefois, lorfque le chant était joint à la poëfie, felon fa première inftitution. On pourrait parmi nous introduire dans le chant cette mefure qui approche de la faphique.

L'amour est un Dieu-que la terre adore,
Il fait nos tourmens-il fait les guérir,
Dans un doux repos-heureux qui l'ignore,
Plus heureux cent fois-qui peut le servir.

Mais ces vers ne pourraient être tolérés dans des ouvrages de longue haleine, à caufe de la cadence uniforme. Les vers de dix fyllabes ordinaires font d'une autre mefure; la céfure fans hémistiche eft presque toujours à la fin du second pied, de forte que le vers eft fouvent en deux mefures, l'une de quatre, l'autre de fix fyllabes. Mais on lui donne auffi fouvent une autre place, tant la variété est néceffaire?

Languiffant, faible & courbé fous les maux,
J'ai confumé mes jours dans les travaux.
Quel fut le prix de tant de foins? l'envie;
Son fouffle impur empoisonna ma vie.

Au premiers vers, la céfure eft après le mot faible; au fecond, après jours, au troisième elle est encore plus loin, après foins; au quatrième elle eft après impur.

Dans les vers de huit fyllabes il n'y a ni hémistiche ni céfure.

Loin de nous ce difcours vulgaire,

Que la nature dégénère,

Que tout paffe & que tout finit.

La nature eft inépuisable,

Et le travail infatigable
Eft un Dieu qui la rajeunit.

Au premier vers s'il y avait une céfure, elle ferait à la fixième fyllabe. Au troifième, elle ferait à la troisième fyllabe, passe, plutôt à la quatrième se, qui eft confondue avec la troifième pas; mais en effet il n'y a point là de céfure. L'harmonie des vers de cette mefure confifte dans le choix heureux des mots & dans les rimes croifées; faible mérite fans les penfées & les images.

Les Grecs & les Latins n'avaient point d'hémiftiches dans leurs vers hexamètres. Les Italiens n'en ont dans aucune de leurs poëfies.

Le donne, i cavalier, l'armi, gli amori,

Le cortefie, l'audaci imprese io canto
Che furo al tempo che paffaro i mori

D'Africa il mar, & in Francia nocquer tanto &c.

Ces vers font comptés d'onze fyllabes, & le génie de la langue italienne l'exige. S'il y avait un hémiftiche, il faudrait qu'il tombât au deuxième pied & trois quarts.

La poëfie anglaife eft dans le même cas. Les grands vers anglais font de dix fyllabes ; ils n'ont point d'hémiftiches, mais ils ont des céfures marquées.

At tropington-not far from Cambridge, flood
A cross a pleafing Stream-a bridge of would
Near it a mill-in low and plashy ground,

Where corn for all the neibouring parts-was ground.

Les céfures différentes de ces vers font défignées par les tirets.

Au refte, il eft inutile de dire que ces vers font le commencement de l'ancien conte italien du

Berceau, traité depuis par la Fontaine. Mais ce qui eft utile pour les amateurs, c'eft de favoir que nonfeulement les Anglais & les Italiens font affranchis de la gène de l'hémiftiche, mais encore qu'ils fe permettent tous les hiatus qui choquent nos oreilles ; & qu'à ces libertés ils ajoutent celle d'alonger & d'accourcir les mots felon le befoin, d'en changer la terminaison, de leur âter des lettres; qu'enfin dans leurs pièces dramatiques & dans quelques poëmes, ils ont fecoué le joug de la rime. De forte qu'il eft plus aifé de faire cent vers italiens & anglais paffables que dix français, à génie égal.

Les vers allemands ont un hémiftiche, les efpagnols n'en ont point. Tel eft le génie différent des langues, dépendant en grande partie de celui des nations. Ce génie qui confifte dans la conftruction des phrafes, dans les termes plus ou moins longs, dans la facilité des inverfions, dans les verbes auxiliaires, dans le plus ou moins d'articles, dans le mélange plus ou moins heureux des voyelles & des confonnes; ce génie, dis-je, détermine toutes les différences qui fe trouvent dans la poëfie de toutes les nations. L'hémiftiche tient évidemment à ce génie des langues.

C'eft bien peu de chofe qu'un hémistiche. Ce mot femblait à peine mériter un article, cependant on a été forcé de s'y arrêter un peu. Rien n'eft à méprifer dans les arts; les moindres règles font quelquefois d'un très-grand détail. Cette obfervation fert à juftifier l'immensité de ce dictionnaire, & doit infpirer de la reconnaiffance par les peines prodigieufes de ceux qui ont entrepris un ouvrage, lequel doit rejeter,

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