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3o. C'eft qu'il n'y a réellement point de comédiens pour jouer cette pièce, et que je ferai mort avant 1767. qu'il y en ait.

4°. C'eft que j'emporte aux enfers ma jufte indignation contre les comédiennes qui ont défiguré mes ouvrages, pour se donner des airs penchés fur le théâtre; et contre les libraires, éternels fléaux des auteurs; lefquels infames libraires de Paris m'ont rendu ridicule, et fe font emparés de mon bien pour le dénaturer avec un privilége du roi.

J'ai donc voulu faire favoir aux amateurs du théâtre, avant que de mourir, que je protestais contre tous les libraires, comédiens et comédiennes, qui font les caufes de ma mort; et c'eft ce que mes anges verront dans l'avis au lecteur, qui eft après ma naïve préface.

Je protefte encore, devant DIEU et devant les hommes, qu'il n'y a pas une feule critique de mes anges et de mes fatrapes à laquelle je n'aye été trèsdocile. Ils s'en apercevront par le papier collé page 19, et par d'autres petits traits répandus çà et là.

Je protefte encore contre ceux qui prétendent que je fuis tombé en apoplexie ; je n'ai été évanoui qu'un quart d'heure tout au plus, et mon ftyle n'est point apoplectique.

Si mes anges et mes fatrapes veulent que la pièce foit jouée avant que l'édition paraiffe, ils font les maîtres. Gabriel Cramer la mettrà fous cent clefs, pourvu qu'il y ait des acteurs pour la jouer, et que les comédiens la faffent fuccéder immédiatement après la pomme (*); car, pour peu qu'on diffère, il (*) Guillaume Tell.

1767.

fera impoffible d'empêcher l'édition de paraître; les provinces de France en feront inondées, et il en arrivera à Paris de tous côtés.

Je la lus devant des gens d'efprit, et même devant des connaiffeurs, quatre jours avant mon apoplexie, et je fis fondre en larmes pendant tout le fecond acte et les trois fuivans.

J'enverrai au bout des ailes de mes anges les paroles et la mufique, dès que les comédiens auront pris une réfolution. J'attends leurs ordres avec la foumiffion la plus profonde. V.

LETTRE III.

AUME ME.

COMME

4 de janvier.

E les cuifiniers, mon cher ange, partent toujours de Paris le plus tard qu'ils peuvent, et s'arrêtent en chemin à tous les bouchons, j'ai reçu un peu tard la lettre que vous avez bien voulu m'écrire le 14 de décembre. Ma réponse arrivera gelée; notre thermomètre eft à douze degrés au-deffous du terme de la glace; une belle plaine de neige, d'environ quatre-vingts lieues de tour, forme notre horizon; me voilà en Sibérie pour quatre mois. Ce n'eft pas affurément cette fituation qui me fait défirer de vous revoir et de vous embraffer; je quitterais le paradis terreftre pour jouir de cette confolation. J'espère bien quelque jour venir faire un tour à Paris, uniquement

pour vous et pour madame d'Argental. İl me fera impoffible d'abandonner long-temps ma colonie. J'ai fondé 1767. Carthage, il faut que je l'habite, fans quoi Carthage périrait; mais je vous réponds bien que, fi je fuis en vie dans dix-huit mois, vous reverrez un vieux radoteur qui vous aime comme s'il ne radotait point.

M. de Thibouville me dit qu'il faut que je vous envoye la lettre de M. le duc de Duras; je ne fais trop où la retrouver. Elle contenait, en substance, que la belle Dubois m'avait traité comme fes amans, qu'elle m'avait trompé ; que la comédie était, comme beaucoup d'autres chofes, fort en décadence; qu'il avait établi un petit féminaire de comédiens à Verfailles, qui ne promettait pas grand'chose ; que le Kain était toujours bien malade, et que la tragédie était tout auffi malade que lui.

Nous manquons d'hommes en bien des genres, mon cher ange, cela eft très-vrai; mais les autres nations ne font pas en meilleur état que nous.

M. de Chardon m'avait promis de rapporter l'affaire des Sirven avant la naissance de notre fauveur; mais les petites niches qu'il a plu au parlement de lui faire, ont retardé l'effet de fa bonne volonté. L'affaire n'a point été rapportée ; je ne fais plus où j'en fuis, après cinq ans de peines. Il faut se résigner à DIEU et au parlement.

Pour mon petit procès avec madame Gilet, il ne m'inquiéte guère; c'eft une idiote qui veut quelquefois faire le bel efprit, et qui parle quelquefois à tort et à travers à M. Gilet. Elle eft peu écoutée; mais M. Gilet a quelquefois des fantaisies, des lubies, et il y a des affaires dans lefquelles il fe rend fort difficile.

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Il eft trifte d'avoir des démêlés avec des gens de ce caractère. Je fuis fenfiblement touché de la bonté que vous avez de fonger à redreffer l'efprit de M. Gilet.

Mon pauvre Damilaville eft tout ébouriffé de la crainte de n'être pas à la tête des vingtièmes. Je vous avoue que je lui fouhaiterais une autre place; c'est un lieutenant-colonel dont tout le monde défire que le régiment foit réformé.

N'êtes-vous pas bien aise que l'affaire de Pologne foit accommodée à la plus grande gloire de DIEU et de la raison? Jofeph Bourdillon, professeur en droit public', n'a pas laiffé de fervir dans ce procès. Puiffé-je réuffir comme lui dans celui des Sirven! puiffé-je furtout venir un jour vous dire combien je vous aime, combien je vous fuis attaché pour le refte de ma languiffante vie !

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JE

5 de janvier.

E vous fais juge, Monfieur, des procédés de J. J. Rousseau avec moi. Vous favez que ma mauvaife fanté m'avait conduit à Genève auprès de M. Tronchin, le médecin, qui alors était ami de Rouffeau je trouvai les environs de cette ville fi agréables que j'achetai, d'un magiftrat, quatrevingt-fept mille livres, une maison de campagne, à condition qu'on m'en rendrait trente-huit mille,

lorfque je la quitterais. Rouffeau dès-lors conçut le deffein de foulever le peuple de Genève contre les 1767. magistrats, et il a eu enfin la funefte et dangereuse fatisfaction de voir fon projet accompli.

Il écrivit d'abord à M. Tronchin qu'il ne remettrait jamais les pieds dans Genève, tant que j'y ferais; M. Tronchin peut vous certifier cette vérité. Voici fa feconde démarche.

Vous connaissez le goût de madame Denis, ma nièce, pour les fpectacles; elle en donnait dans le château de Tourney et dans celui de Ferney, qui font fur la frontière de France, et les Génevois y accouraient en foule. Rouffeau fe fervit de ce prétexte pour exciter contre moi le parti qui eft celui des représentans, et quelques prédicans qu'on nomme miniftres.

Voilà pourquoi, Monfieur, il prit le parti des miniftres, au sujet de la comédie, contre M. d'Alembert, quoiqu'enfuite il ait pris le parti de M. d'Alembert contre les miniftres, et qu'il ait fini par outrager également les uns et les autres; voilà pourquoi il voulut d'abord m'engager dans une petite guerre au fujet des fpectacles; voilà pourquoi, en donnant une .comédie et un opéra à Paris, il m'écrivit que je corrompais fa république en fefant repréfenter des tragédies dans mes maifons par la nièce du grand Corneille, que plufieurs génevois avaient l'honneur de feconder.

Il ne s'en tint pas là; il fufcita plufieurs citoyens. ennemis de la magiftrature; il les engagea à rendre le confeil de Genève odieux, et à lui faire des reproches de ce qu'il fouffrait, malgré la loi, un

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