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1767.

LETTRE XLIII.

A M. DA MILA VILL E.

20 de février.

ES aveugles, mon cher ami, font fujets à faire d'énormes méprifes. Lorfque le paquet contenant le mémoire des Sirven arriva, nous ne fongeâmes pas feulement s'il était accompagné d'une lettre. Nous nous jetâmes deffus avec avidité: il fut lu fur le champ, à haute et intelligible voix, par M. de la Harpe. Nous pleurions tous, nous difions tous: Ce M. de Beaumont s'eft furpaffe; le mémoire des Sirven est bien fupérieur au mémoire des Calas; le confeil du roi fondra en larmes. Auffitôt nous envoyons le mémoire aux Sirven pour le figner; ils le fignent; le mémoire part à l'adresse de M. de Courteille. Quand tout cela eft fait, on lit votre lettre; on voit que mémoire eft de vous, qu'il n'eft point juridique, que Sirven ne devait point le figner: alors nous nous promettons le fecret. Je vous écris un mot à la hâte; je vous dis que votre mémoire eft chez M. de Courteille. Si on ne vous l'a pas remis, courez vîte chez lui, reprenez votre excellent ouvrage; et, fi vous voulez qu'il foit imprimé, renvoyez-le-moi; il fera un grand effet dans les pays étrangers; mais furtout que M. de Beaumont donne le fien; il nous fait périr par fes lenteurs. Il y a fix ans qu'une famille innocente gémit, et il y a deux ans que M. de Beaumont devrait avoir

le

fini fes peines: il ne fait donc pas combien la vie eft courte.

Bonsoir, mon très-cher ami; mon corps et mes yeux vont bien mal; mais auffi j'entre dans ma foixante et quatorzième année, malgré la fauffe date de mes eftampes. Ecr. l'inf.

LETTRE XL I V.

A M. LE DUC DE CHOISEUL.

A Ferney, 20 de février.

MONSEIGNEUR,

J'AI reçu les deux lettres dont vous m'avez honoré,

avec un passe-port général, mais non pas dans leur temps, parce que vos bontés ne me font parvenues que par les cafcades de la dragonnade.

Je vous ai envoyé le difcours de M. de la Harpe, qui a remporté le prix à l'académie. La justice qu'il vous a rendue a beaucoup contribué à lui faire remporter ce prix. Son ouvrage a été applaudi de tout le public.

Je ne fais fi on vous a envoyé le mémoire ci-joint; permettez-moi la liberté de vous le préfenter; comptez qu'il eft exact et fidelle. Il fera bien difficile de vivre dorénavant dans le pays de Gex fans votre protection. Je vous la demande auffi pour les Scythes; je les ai retravaillés fuivant les judicieuses remarques que vous avez daigné faire. Je n'en ai fait imprimer

1767.

que quelques exemplaires, pour épargner la peine 1767. des copiftes; l'édition ne paraîtra à Paris que quand

vous en ferez content.

Je ferais bien flatté fi vous pouviez honorer la première représentation de votre préfence.

J'ai bien des querelles avec M. d'Argental pour les Scythes, fur le cinquième acte; mais je m'en rapporte

à vous.

Je fuis pénétré de vos bontés, elles font ma confolation dans mes misères. M. le chevalier de Jaucourt ne m'a vu qu'aveugle et malade. J'étais mort, fi je ne m'étais pas égayé aux dépens de Jean-Jacques, de la demoiselle le Vaffeur et de Catherine.

Je me mets à vos pieds avec la plus tendre reconnaissance et le plus profond respect.

LETTRE XL V.

A M. DORAT.

Le 20 de février.

IL eft vrai, Monfieur, que j'avais été flatté de la pro

meffe que vous m'aviez faite, lorsqu'une lettre, que j'avais écrite à M. de Pezai, m'en attira une très-obligeante de vous. Cette espérance adouciffait beaucoup le mal dont je ne connaiffais qu'une partie. Des vers tels que vous les favez faire auraient plu davantage au public, que la publication de quelques lettres qui ne font pas faites pour lui.

Les procédés de J. J. Rousseau ne font point des

querelles de littérature; ce font des complots formés par l'ingratitude et par la méchanceté la plus noire, 1767. dont les médiateurs de Genève et le ministère de France font affez inftruits. Au refte, perfonne n'a jamais fouhaité plus paffionnément que moi l'union des gens de lettres; perfonne n'a mieux fenti combien ils feraient utiles, et à quel point ils feraient respectés du public, s'ils fe foutenaient les uns les autres. Il faut laiffer aux folliculaires, aux Desfontaines, aux Frérons, l'infame métier de déchirer leurs confrères pour gagner quelque argent ce font des miférables qui ont fait de la littérature une arène de gladiateurs.

Vous avez redoublé mon eftime pour vous, Monfieur, en m'apprenant que vous n'aviez nul commerce avec ce vil Fréron qui eft, dit-on, l'opprobre de la fociété, et dont on ne prononce le nom qu'avec horreur et mépris. Cet homme, affurément, n'était fait ni pour apprécier vos agréables ouvrages, ni pour approcher de votre perfonne. S'il y avait encore des Chaulieu et des la Fare, ce ferait leur fociété qui vous conviendrait, ainsi qu'à M. de Pezai votre ami.

Je vous répéterai encore que j'ai été très - touché des lettres que vous m'avez écrites; mais le public: les ignore, et il a vu la pièce que vous m'aviez promis de réparer. Je vous en parle pour la dernière fois. Je ne veux plus me livrer qu'au plaifir de vous dire combien j'ambitionne votre eftime et votre amitié, et avec quels fentimens j'ai l'honneur d'être. votre, &c.

1767.

X L V I.

LETTRE

A M. LE DUC DE LA VALLIERE.

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A Ferney, 21 de février.

L eft vrai, monfieur le Duc, que j'ai fait une drôle de tragédie où j'ai mis un petit-maître perfan avec des payfans fcythes, et une demoiselle de qualité qui raccommode fes chemises et celles de fon père, fuppofé qu'on eût des chemises en Scythie. Comme vous ne haïffez pas les choses bizarres, j'aurais pris, fans doute, la liberté de vous envoyer cette facétie, fi je n'étais occupé à la corriger; ce qui me coûte beaucoup, attendu que j'ai eu, il y a quelque temps, un petit foupçon d'apoplexie qui m'a un peu affaibli le cervelet. J'ai l'honneur d'entrer dans ma foixante et quatorzième année, quoi qu'en difent mes mauvaises eftampes. Vous voyez que ma tragédie n'eft pas un jeu d'enfant; mais elle tient beaucoup du radotage, ce qui revient à peu-près au même.

Ou j'ai perdu entièrement la mémoire, ou je me fouviens très-bien que je vous ai remercié de votre beau certificat en faveur d'Urceus Codrus. Celui qui écrit fous ma dictée (parce que je fuis aveugle tout l'hiver) fe fouvient très-bien de vous avoir remercié de votre témoignage fur Urceus. Nous fommes exacts, nous autres folitaires, parce que nous ne fommes point diftraits par le fracas.

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