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horreurs des agitations que j'ai éprouvées. Je joins 1767. ici deux exemplaires de cette nouvelle correction que vous pourrez aifément faire porter fur les anciennes éditions que vous avez, et furtout fur celles envoyées en dernier lieu par M. le duc de Praflin.

Cette fcène du père et de la fille eft de moitié plus courte qu'elle n'était; ni Sozame ni les Scythes ne fe doutent de la réfolution d'Obéide. Les imprécations feront toujours un très-grand effet, à moins qu'elles ne foient ridiculement jouées. Je conviens que ce cinquième acte était extrêmement difficile; mais enfin je crois être parvenu à faire à peu-près tout ce que vous vouliez, et j'ose espérer que vous en viendrez à votre honneur. Ce fera à M. de Thibouville à arranger les rôles, les décorations et les habits avec le Kain; c'eft, de toutes les pièces, celle qui exige le moins de frais.

Le rôle d'Obéide demande d'autant plus d'art qu'elle penfe prefque toujours le contraire de ce qu'elle dit. Je ne fais pas comment j'ai pu faire un pareil rôle qui eft tout l'oppofé de mon caractère. Je ne dis que trop ce que je pense, mais je le dis avec tant de plaifir, quand je m'étends fur les fentimens qui m'attachent à mes anges, que je ne me corrigerai jamais de ma

naïveté.

J'ai oublié, dans mes dernières lettres, de vous dire qu'il était impoffible qu'on pût penfer à le Kain dans cette édition du Triumvirat. Vous favez qu'on ne fait pas ce qu'on veut des libraires ; et moi, je fais ce que c'eft que d'être loin de Paris.

Quant aux affaires de Genève, elles s'arrangeront fans doute, car elles ne font que ridicules; elles ne

méritent qu'un Lutrin. J'en avais ébauché quelque
chofe pour vous faire rire, et pour faire rire meffieurs 1767.
les ducs de Choifeul et de Praflin; mais, pendant tout

le mois de janvier, je n'ai pas eu envie de rire.
Refpect et tendreffe.

LETTRE XXXII.

A M. LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU.

A Ferney, 9 de février.

Vous connaiffez, Monseigneur, la main qui vous écrit et le cœur qui dicte la lettre. Les neiges m'ôtent l'ufage des yeux cet hiver-ci avec plus de rigueur que les autres; mais j'espère voir encore un peu clair au printemps. L'aventure dont vous avez la bonté de me parler dans vos deux lettres, eft une de ces fatalités qu'on ne peut pas prévoir. Je pense que vous croyez à la destinée; pour moi, c'est mon dogme favori. Toutes les affaires de ce monde me paraissent des boules pouffées les unes par les autres. Aurait-on jamais imaginé que ce ferait la fœur de ce brave Thurot tué en Irlande, qui ferait envoyée à cent cinquante lieues à un homme qu'elle ne connaît pas, qui s'attirerait une affaire capitale pour le plus médiocre intérêt, et qui mettrait dans le plus grand danger celui qui lui rendrait gratuitement service, L'affaire a été extrêmement grave; elle a été portée au confeil des parties. On a voulu la criminalifer et la renvoyer au parlement. C'eft principalement monfieur le vice-chancelier

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dont les bontés et la juftice ont détourné ce coup. 1767. Cette funefte affaire avait bien des branches. Vous

ne devez pas être étonné du parti qu'on allait prendre, c'était le feul convenable; et, quoiqu'il fût douloureux, on y était parfaitement réfolu; car il faut prendre fon parti fans pufillanimité dans toutes les occafions de la vie, tant que l'ame bat dans le corps. On risquait, à la vérité, de perdre tout fon bien en France; on jouait gros jeu; mais, après tout, on avait brelan de rois en quatrième. Je vous donne cette énigme à expliquer. J'ajouterai feulement qu'il y a des jeux où l'on peut perdre avec quatre rois, et qu'il vaut mieux ne pas jouer du tout. Je crois que la perfonne à laquelle vous daignez vous intéreffer ne jouera de fa vie.

Cette affaire d'ailleurs a été auffi ruineuse qu'inquiétante; et la perfonne en queftion vous a une obligation infinie de la bonté que vous avez eue de la recommander à M. l'abbé de Blet.

On aura l'honneur, Monfeigneur, de vous envoyer, par l'ordinaire prochain, ce qui doit contribuer à vos amusemens du carnaval ou du carême; il faut le temps de mettre tout en règle, et de préparer les inftructions néceffaires. Si on n'avait que foixante et dix ans, ce qui eft une bagatelle, on viendrait en pofte avec fes marionnettes, et on aurait la fatisfaction de vous voir dans votre gloire de niquée.

Voici une requête d'une autre efpèce, que le griffonneur de la lettre vous préfente, et par laquelle ilvous demande votre protection. Quoiqu'il s'agiffe de toiles, il n'en eft pas moins attaché à l'hiftoire, et il croit que, s'il dirigeait les toiles de Voiron, il

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pourrait très-commodément vifiter tous les bénédictins du Dauphiné. Il faurait précisément en quelle 1767. année un dauphin de Viennois fondait des meffes, ce qui ferait d'une merveilleufe utilité pour le reste du royaume.

Voici à préfent d'une autre écriture. Vous voyez, Monseigneur, que celle de votre protégé s'est assez formée; s'il continue, il fe rendra digne de vous fervir, ce qui vaudra mieux que l'infpection des toiles de fon village. Je doute fort que M. de Trudaine déplace un homme qui eft dans fon pofte depuis longtemps, pour favorifer un enfant de cet emploi.

Quoi qu'il en foit, je joins toujours fa requête à cette lettre. Agréez le tendre et profond refpect avec lequel je ferai jufqu'au dernier moment de ma vie. V.

L'aventure de la fœur de Thurot n'eft plus bonne qu'à oublier.

Il y a à Voiron, village de Graifivodan, en Dauphiné, une fabrique de toiles dont l'inspection ne se donnait qu'à un des habitans de l'endroit ; cependant une personne, qui demeure à Romans, et qui possède déjà plufieurs autres infpections confidérables, a trouvé le moyen de fe faire encore revêtir de celle-ci.

M. de Trudaine eft le maître d'accorder ce petit appui au fieur Claude Gallien, natif de Voiron. Il foulagerait une famille nombreuse, connue depuis très-long-temps, domiciliée et eftimée dans ledit endroit. Le père, l'oncle et les frères de Claude Gallien ont tous été au fervice; fon frère fut tué à Crevelt,

étant pour lors dans les volontaires de Dauphiné: 1767. c'était l'aîné de la famille.

Claude Gallien demande très-humblement la protection de M. de Trudaine.

LETTRE XXX II I.

A M. D'ETALLONDE DE MORIVAL.

DANS

Le 10 de février.

ANS la fituation où vous êtes, Monfieur, j'ai cru ne pouvoir mieux faire que de prendre la liberté de vous recommander fortement au maître que vous fervez aujourd'hui. Il eft vrai que ma recommandation eft bien peu de chofe, et qu'il ne m'appartient pas d'ofer efpérer qu'il puiffe y avoir égard; mais il me parut, l'année paffée, fi touché et fi indigné de l'horrible deftinée de votre ami et de la barbarie de vos juges, qu'il me fit l'honneur de m'en écrire plufieurs fois, avec tant de compaffion et tant de philofophie, que j'ai cru devoir lui parler à cœur ouvert en dernier lieu de ce qui vous regarde. Il fait que vous n'êtes coupable que de vous être moqué inconfidérément d'une fuperftition que tous les hommes fenfés déteftent dans le fond de leur cœur. Vous avez ri des grimaces des finges dans le pays des finges, et les finges vous ont déchiré. Tout ce qu'il y a d'honnêtes gens en France (et il y en a beaucoup) ont regardé votre arrêt avec horreur. Vous auriez pu aifément vous réfugier, fous un autre nom, dans

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