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LETTRE XXVII.

A M. LE COMTE DE ROCHEFORT.

4 de février.

L y a environ cinquante ans, mon Chevalier, que j'ai eu l'honneur de jouer aux échecs avec monfieur le vice-chancelier; mais il me gagnait, comme de raifon. J'étais attaché à toute fa maison. Il y avait furtout un certain évêque de....., grand philofophe et très-favant, qui m'honorait de la plus fincère amitié. Un vice-chancelier ne fe fouvient pas de tout cela, mais les petits ne l'oublient pas. J'ai le cœur pénétré de fes bontés, et de la justice qu'il a rendue dans l'affaire qui m'intéreffait par contre-coup.

Je prends la liberté de lui écrire quatre mots; car il ne faut pas de verbiage pour les hommes en place. On donne à la Chine vingt coups de lattes à ceux qui écrivent aux miniftres des lettres trop longues et du galimatias.

Je vous écrirais bien au long, à vous, mon Chevalier, fi j'en croyais mon cœur qui eft bavard de fon naturel; je vous dirais combien je fuis enchanté de vous et de vos bons offices; mais la guerre de Genève, les embarras qu'elle cause, les effroyables neiges qui m'environnent, la fièvre, les rhumatifmes, impofent filence à ma bavarderie. Cependant il faut que je vous demande fi vous avez entendu la mufique de Pandore, de M. de la Borde.

Vous me permettez donc de vous embraffer fans cérémonie.

1767.

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JE

A Ferney, 6 de février.

NO

E vous réponds tard, mon cher confrère; j'ai été malade, je fuis en Sibérie; on fait la guerre près de ma tanière, et j'y fuis bloqué. Nous avons été expofés à la difette; aucun fléau ne nous a manqué. L'efpérance de voir votre tragédie entre dans mes confolations. Je loue toujours beaucoup le dessein que vous avez de la faire imprimer, afin que fon fuccès ne dépende pas du jeu d'un acteur. On dit que le théâtre n'est pas aujourd'hui sur un pied à donner beaucoup de tentation aux auteurs; et d'ailleurs on juge toujours mieux dans le recueillement du cabinet qu'à travers les illufions de la fcène. J'ai fait une pièce fort médiocre, intitulée Les Scythes; j'ai eu bravement l'impudence de mettre des agriculteurs et des pâtres en parallèle avec des fouverains et des petits-maîtres. Je l'avais fait imprimer, et ne comptais point la livrer aux comédiens; mais je ne me gouverne pas par moi-même; il a fallu céder aux défirs de mes amis dont les volontés font des ordres pour moi. C'est à vous à voir fi vous aurez plus de courage que je n'en ai eu.

Avez-vous entendu la mufique de Pandore? Confiez-moi ce que vous en penfez; il faut dire la vérité à fes amis. Je crois qu'il y a des morceaux trèsagréables; mais on dit qu'en général la mufique n'eft

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pas affez forte. Je ne m'y connais point, et vous êtes paffé maître. Dites-moi la vérité, encore une fois, et fiez-vous à ma difcrétion. Adieu; je ne fuis pas trop en état de caufer avec un homme qui fe porte bien; mais je ne vous en aime pas moins. V.

LETTRE XXI X.

A M. ELIE DE BEAUMONT, avocat.

JE

A Ferney, le g de février.

E fuis bien plus fatisfait encore, mon cher Cicéron, de votre dernier mémoire, fur la terre de Canon, que des premiers. Vous prévenez toutes les objections, vous étouffez tous les murmures. Mifericordia cum accufantibus erit. Je ferai bien trompé fi Cicéron ne gagne pas fon procès pro domo fuâ; et j'imagine que vous fouperez à Canon, cette année, avec madame de Beaumont vous favez cependant qu'on n'eft sûr de rien avec les hommes.

A l'égard de Sirven, je m'en remets entièrement à vous; je n'ai plus rien ni à dire ni à faire. J'attends beaucoup de M. Chardon qui est, je crois, rapporteur de votre affaire, et qui eft furement celui des Sirven. Le père et les filles partiront, s'il le faut ; et fi le père fuffit, il partira feul. On n'attend que vos ordres, et ils feront exécutés fur le champ.

Notre petite fociété de Ferney est bien attachée à M. et à madame de Beaumont; nous voudrions que Canon et Ferney ne fuffent pas fi éloignés l'un de

l'autre.

1767.

1767.

LETTRE X X X.

A M. DA MILA VILLE.

9 de février.

Vous avez dû recevoir une lettre pour M.Lambertad,

et vous devez être informé du petit malheur arrivé à la géométrie. Cela eft bien défagréable; mais actuellement perfonne ne fait ce qu'il fait dans Genève.

Voici une lettre pour notre ami M. de Beaumont. J'exécute fidellement ce que vous m'avez prefcrit. Tâchez donc enfin que ce mémoire paraiffe avant que les parties foient mortes de vieilleffe.

Je crois vous avoir mandé que le roi de Dancmarck venait de fe mettre dans le rang de nos bienfaiteurs. J'ai brelan de roi quatrième; mais il faut que je gagne la partie. N'admirez-vous pas comme cette vie eft mêlée, de haut et de bas, de blanc et de noir? et n'êtes-vous pas fâché que, parmi mes quatre rois, il n'y en ait pas un du midi?

Un hafard fingulier m'a fait connaître ce Lacombe, d'abord comme un homme de lettres, enfuite comme libraire. Chose promife, chofe due. Je tâcherai de réparer tout cela. Je vous quitte; il faut que j'écrive aux maîtres des requêtes qui n'ont pas été de l'avis de M. d'Agueffeau. On dit que ce pauvre Leclerc eft un homme d'efprit et fort honnête homme. Ne trouvera-t-il point de protecteurs? Ecr. l'inf.

LETTRE

LET TRE X X X I.

1767.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

VOICI

9 de février.

OICI d'abord ce que je réponds à la lettre du 2 de février de mon cher ange. Je le donne en quatre, je le donne en dix, à une ame plus forte que la mienne, logée dans un corps très-faible, âgée de foixante et treize ans, au milieu de cent montagnes de neige, ayant affaire à des pédans et à des prêtres, craignant les chofes les plus funeftes, affaillie de quatre ou cinq tristes événemens à la fois, affublée d'une espèce de petite apoplexie. Je dis que cette ame aurait été pour le moins auffi embarraffée que la mienne; cependant mon ame encore toute ébouriffée demande trèstendrement pardon à la vôtre, et elle lui fera toujours foumise.

le

Vous jugez, mon cher ange, de notre pays par vôtre; vous vous imaginez, parce que vous avez eu une débâcle, que le mont Jura et les Alpes prennent la loi de la butte Saint-Roch; vous vous trompez cruellement.

Je ne dispute pas fur M. le duc de Virtemberg, mais je fouhaite affurément que vous ayez raison; je ne me fuis pas encore aperçu de l'effet de fes beaux arrangemens. Il eft temps qu'il fe corrige de fa manie d'imiter Louis XIV: mais venons au plus vîte aux Scythes.

Voici la dernière leçon. Il ne m'a guère été poffible
de voir les chofes d'un coup d'œil bien juste, dans les
Correfp. générale.
Tome IX.

D

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