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Les Sirven ont de l'argent pour leur voyage et pour leur fejour; ils font à vos ordres. Je mourrai 1767. content, quand nous aurons joint la vengeance des Sirven à celle des Calas.

Envoyez, je vous prie, à M. Lambertad la copie de ma lettre à M. le chevalier de Pezai; elle le regarde beaucoup. Je puife ma fenfibilité pour les innocens malheureux dans le même fond dont je tire mon inflexibilité envers les perfides. Si je haïffais moins Rousseau, je vous aimerais moins. Ecr. l'inf.

LETTRE XI I.

A M. LE MARQUIS DE FLORIAN, à Paris.

Le 14 de janvier.

Mon cher grand écuyer de Babylone, il est juste

ON

:

qu'on vous envoye les Scythes et les Perfans; cela
amufera la famille notre abbé turc y a des droits
inconteftables. Vous pourrez prier mademoiselle
Durancy à dîner; elle trouvera fon rôle noté dans
l'exemplaire que je vous enverrai : voilà
pour votre
divertiffement du carnaval. Nous répétons la pièce
ici; elle fera parfaitement jouée par M. et madame
de la Harpe, et j'efpère qu'après Pâques, M. de
la Harpe vous rapportera une pièce intéreffante et

bien écrite.

Nous remercions mon turc bien tendrement.

Madame Denis et moi, nous l'aimons à la folie, puif1767. qu'il a du courage et qu'il en inspire. C'est une énigme dont il devinera le mot aifément.

Je viens d'écrire à Morival, ou plutôt de lui faire écrire; et, dès que j'aurai fa réponse, j'agirai fortement auprès du prince dont il dépend. Ce prince m'écrit tous les quinze jours; il fait tout ce que je veux. Les chofes dans ce monde prennent des faces bien différentes; tout reffemble à Janus; tout, avec le temps, a un double vifage. Ce prince ne connaît point Morival, fans doute; mais il connaît très-bien fon défaftre. Il m'en a écrit plufieurs fois avec la plus violente indignation, et avec une horreur prefque égale à celle que je reffens encore.

Il y a des monftres qui mériteraient d'être décimés. Je vous prie de me dire bien pofitivement fi le premier mémoire que vous eûtes la bonté de m'envoyer de la campagne, eft exactement vrai. En cas que le frère de Morival veuille fournir quelques anecdotes nouvelles, vous pourrez nous les faire tenir fous l'enveloppe de M. Hénin résident du roi à Genève.

Vous favez que nous fommes actuellement environnés de troupes, comme de tracafferies. Nous mangeons de la vache, le pain vaut cinq fous la livre, le bois eft plus cher qu'à Paris. Nous manquons de tout, excepté de neige. Oh, pour cette denrée, nous pouvons en fournir l'Europe! il y en a dix pieds de haut dans mes jardins, et trente fur les montagnes. Je ne dirai pas que je prie DIEU qu'ainfi foit de vous.

Florianet a écrit une lettre charmante, en latin, à

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père Adam. Je vous prie de le baiser pour moi des deux côtés. J'embraffe de tout mon cœur la mère et 1767.

le fils.

LETTRE XII I.

A M. LE MARQUIS D'ARGENCE DE DIRAC.

JE

17 de janvier.

E vous écris, mon cher Marquis, mourant de froid et de faim, au milieu des neiges, environné de la légion de Flandre et du régiment de Conti, qui ne font pas plus à leur aife que moi.

J'ai été fur le point de partir pour Soleure, avec monfieur l'ambaffadeur de France; j'avais fait tous mes paquets. J'ai perdu, dans ce remue-ménage, l'original de votre lettre à M. le comte de Périgord. Je vous fupplie de me renvoyer la copie que vous avez fignée de votre main; et, fur le champ, nous mettrons la main à l'œuvre, et tout fera en règle. Les Genevois payeront, je crois, leurs folies un peu cher. Ils fe font conduits en impertinens et en infenfés; ils ont irrité M. le duc de Choifeul, ils ont abufé de fes bontés, et ils n'ont que ce qu'ils méritent.

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M. Bourfier ne peut vous envoyer que dans un mois, ou environ, les bouteilles de Coladon qu'il vous a promises. Ces liqueurs font fort néceffaires pour le temps qu'il fait; elles doivent réchauffer des cœurs

glacés par huit ou dix pieds de neige, qui couvrent 1767. la terre dans nos cantons.

Confervez-moi votre amitié, mon cher Marquis; la mienne pour vous ne finira qu'avec ma vie.

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non moins triftes que les maladies, m'ont privé long-temps de la confolation de vous écrire.

Il y a un paquet pour vous à Nyon en Suiffe, depuis plus de quinze jours; les neiges ne lui permettent pas de paffer, et je ne fais même par quelle voie il pourra vous parvenir, à moins que vous ne m'en indiquiez une.

Je vous fuis très-obligé des éclairciffemens hiftoriques que vous avez bien voulu me donner fur un des plus grands génies qu'ait jamais produit la Franche-Comté, Nonotte. Le mal eft que beaucoup d'imbécilles font gouvernés par des gens de cette espèce, et qu'on les croit fouvent fur leur parole. Les honnêtes gens, qui pourraient les écrafer, ne font point un corps, et les fanatiques en font un confidérable. Si on ne fe réunit pas, tout eft perdu. Il eft

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bien jufte que les efprits raifonnables foient amis;

et votre amitié, Monfieur, fait une de mes confo- 1767.

lations.

LETTRE X V.

A M. LE COMTE DE LA TOURAILLE.

JE

Au château de Ferney, le 19 de janvier.

E fuis vieux, Monfieur, malade, borgne d'un œil, et maléficié de l'autre. Je joins à tous ces agrémens celui d'être affiégé, ou du moins bloqué. Nous n'avons, dans ma petite retraite, ni de quoi manger, ni de quoi boire, ni de quoi nous chauffer; nous fommes entourés de foldats de fix pieds, et de neiges hautes de dix ou douze; et tout cela, parce que Jean-Jacques Rouffeau a échauffé quelques têtes d'horlogers et de marchands de draps. La fituation très-trifte où nous nous trouvons ne m'a pas permis de répondre plutôt à l'honneur de votre lettre : vous êtes trop généreux pour n'avoir pas pour moi plus de pitié que de colère.

Nous avons ici M. et madame de la Harpe qui font tous deux très-aimables. M. de la Harpe commence à prendre un vol fupérieur ; il a remporté deux prix de fuite à l'académie, par d'excellens ouvrages. J'espère qu'il vous donnera à Pâques une fort bonne tragédie. Il eut l'honneur de dédier à M. le prince de Condé fa tragédie de Warwick, qui avait beaucoup réuffi. J'ai vu une ode de lui à son alteffe féréniffime,

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