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teau qui était là, en disant au patron de faire force de rames pour joindre cette chaloupe. Perrin était à moitié fou; mais en arrivant au point indiqué, nous eûmes la grande joie de retrouver ce que nous cherchions. Mme de Perrin étant sur le port, où son mari lui avait donné rendez-vous, avait été effrayée par une rixe entre marins, s'était réfugiée dans la chaloupe en demandant qu'on l'éloignât du bord, et voguait incertaine sur ce qu'il lui fallait faire. Nous la conduisîmes au bateau sur lequel son passage était arrêté; il se dirigeait déjà vers la sortie du port, encombrée par la foule des bâtiments étrangers qui s'empressaient de se soustraire aux éventualités dont une révolution pouvait les menacer.

A peine étions-nous éloignés d'une centaine de brasses pour regagner la terre, que Perrin me rappela avec un accent désespéré. Nous accostâmes son bateau le plus promptement possible, et il me dit alors que, si nous ne venions pas à son secours, lui et les siens allaient mourir de faim. Le capitaine lui avait déclaré qu'il n'avait pas une seule bouchée de pain à donner à ses passagers, l'équipage n'ayant même pas assez de vivres pour les cinq jours que durerait au moins la traversée. Nous retournâmes à terre; je courus à l'hôtel Beauvau où nous étions logés, je fis remplir un grand panier de pain, de pâtés, de viandes et de vin; je le fis porter au bateau qui nous attendait, et nous partimes pour retrouver notre monde. Mais le petit bâtiment que nous cherchions était sorti du port et se trouvait en rade, louvoyant, avec une quantité d'autres, pour s'élever au vent qui était contraire et qui fraîchissait beaucoup. La nuit était très-noire et la mer houleuse; il nous fallait les plus grandes précautions pour éviter l'abordage des vaisseaux qui, courant dans tous les sens, s'avertissaient par de grands cris du danger dont ils se menaçaient réciproquement, danger bien plus grand pour notre pauvre

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chaloupe sur laquelle on aurait passé sans s'en apercevoir. Ces cris couvraient ceux que nous poussions nousmêmes, en hélant par son nom le bâtiment auquel nous avions affaire, et dont la recherche nous prit un temps si long qu'un moment je désespérai du succès. Enfin, par un hasard qu'on peut appeler providentiel, vu la nuit et le désordre qui régnaient sur cette rade, nous touchâmes le but que nous voulions atteindre, et nous fûmes reçus avec une explosion de reconnaissance qui me fit presque verser des larmes.

Nous eûmes encore de grandes difficultés à vaincre pour regagner le port; je dus payer généreusement les bateliers qui nous avaient conduits, et solder, moyennant une centaine de francs, les provisions du panier. Quelques mois plus tard, je rencontrai Perrin à Paris; il eut l'air embarrassé et contrarié de cette rencontre, parut à peine me reconnaître et ne me parla ni de la scène de la rade, ni, bien entendu, de me rembourser ce que j'avais dépensé pour lui. Je lui tournai le dos, et je ne lui ai plus parlé depuis.

Le général de Grouchy, après la capitulation de Monseigneur le Dauphin, avait porté son quartier général à Aix, et, tenant compte de l'apparence de soumission de Marseille, ne s'empressait pas de faire occuper militairement cette ville, redoutant probablement les collisions qu'aurait pu amener entre la troupe et la population l'exaspération de cette dernière que l'échec subi par la garde nationale n'avait fait qu'exciter davantage,

Nous ne savions trop quel moyen de transport adopter pour retourner en Normandie les diligences ne marchaient plus; par suite des opérations de guerre qui avaient eu lieu sur la ligne que nous devions suivre, et puis il nous répugnait de traverser la partie du pays occupée par le corps du général de Grouchy. Sur ces entrefaites, je reçus du commerce de Marseille une députation

qui me toucha vivement on vint me faire la proposition, pour moi et les autres officiers d'état-major qui se trouvaient encore là, de rester à Marseille, et, dans la supposition où nous serions privés des ressources provenant de nos familles, ou de toute autre part, de vouloir bien accepter, à titre de prêt, telle somme que je désignerais. Après avoir reçu celte offre comme je le devais, et témoigné l'intention de nous mettre en route aussitôt que nous aurions trouvé un moyen de transport, un des négociants qui composaient la députation me parla d'un vetturino, honnête homme et très-royaliste, qui était sur le point de partir pour Paris et qui serait sûrement fort content d'avoir des voyageurs tels que nous. Ce moyen, très-lent, ne répondait pas à notre impatience; mais, dans les circonstances où nous nous trouvions, il avait l'avantage de nous faire voyager sans attirer l'attention.

Nous traitâmes donc avec le vetturino, et nous nous - mîmes en route, deux jours après, dans une excellente berline attelée de deux forts chevaux, ayant nos malles sur l'impériale et, dans un magasin derrière, quatre longs barils d'huile d'Aix dont notre conducteur faisait le commerce, ce qui, avec ses voyageurs, lui procurait un joli bénéfice. Cette voiture contenait six places et nous y étions quatre: Deshorties, mon frère et moi, plus un enfant de quatorze ans que le général de Bruslart avait, sur les supplications de ses parents, emmené en Corse pour le former au métier de secrétaire. A Aix, nous primes une dame d'une soixantaine d'années, fort aimable. Nous fûmes rejoints par une voiture contenant six femmes venant de l'île d'Elbe, et appartenant à des officiers, ou gens de la maison de l'Empereur. Nous devînmes pour elles des objets de suspicion, et entre autres tours qu'elles cherchèrent à nous jouer, nous manquâmes, sur leur dénonciation, d'être arrêtés à Lyon.

Au moment de notre entrée en ville, leur voiture nous avait dépassés, et en arrivant nous fûmes entourés par la gendarmerie. Le maréchal-des-logis qui la commandait ayant débuté par prendre un ton inconvenant, je me fâchai, ce qui, en général, réussit mal, mais ce qui, par exception, réussit ce jour-là, au grand ébahissement de Deshorties et de mon frère qui en rirent après, mais que ma colère avait d'abord fort inquiétés. Une des femmes de l'île d'Elbe vint, à l'une de nos couchées, nous supplier, les larmes aux yeux, de la prendre dans notre voiture, attendu que ses compagnes, sous prétexte que son mari était dans une position inférieure, l'accablaient d'humiliations. Nous eûmes pitié de cette femme très-jolie, qui avait vingt ans à peine, et nous lui accordâmes de très-bonne grâce ce qu'elle demandait.

Cette manière de voyager à petites journées, sauf l'impatience que parfois elle cause, n'est pas sans agrément. Les chevaux vont au pas quand le chemin n'est pas parfaitement droit; on marche à pied tant qu'on veut, avec un abri tout prêt s'il vient de la pluie, et on a la faculté de bien voir le pays. Deshorties connaissait les noms de presque tous les propriétaires des habitations importantes que nous apercevions de la route, et il nous faisait l'historique de leur famille. Notre conducteur avait ses auberges attitrées où il était attendu à heure fixe. Nous trouvions nos repas et nos chambres préparés, et comme, depuis plus de vingt ans, il faisait le trajet, il importait que ses voyageurs fussent contents, et nous n'eûmes aucun sujet de plainte de ce côté pendant les quinze jours que dura notre voyage de Marseille à Paris.

CHAPITRE XI

Etat de la Normandie pendant les Cent jours. Seconde Restauration.

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Le colonel de Baillancourt.

Arras. Colmar.

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Le gé
Dijon. La
Léganès.
- Un conseil de guerre. - Le général

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Entrée à Madrid.

Les cuirassiers de Condé.
néral de Fleury. Un duel.
campagne d'Espagne de 1823.
Alcala. Le colonel Patarin.
Roussel d'Hurbal. Une émeute.
Le général Black. — Aranjuez.
La Manche. Le colonel Amor.
France. - Joigny. La Garde royale.
Le marquis de Raigecourt.

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M. de Villequier.

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- La jaunisse. Carabanchel. -
Le champ de bataille d'Acaña.
La Guadiana. Retour en
Le colonel de l'Épinay.

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Le Roi et le

Dauphin. La Dauphine. Le 12° de chasseurs. - Verdun. Le comte de Maillé. Le lieutenant-colonel de Nettancourt et son procès. Le colonel Jourdan. Voyage de Charles X en Lorraine et en Alsace. Bienveillance tardive de Mme la Dauphine. Le dépôt de remonte de Saint-Maixent.-Le colonel Blin. Le comte de Caux.

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Ainsi que nous nous y attendions, nous trouvâmes Paris dans un état de trouble et d'anxiété, suite inévitable d'une révolution comme celle qui, en quelques jours, venait de s'opérer. Le congrès réuni à Vienne avait parlé la guerre allait commencer et l'armée française était loin d'être réorganisée. L'ancienne garde impériale, que la Restauration avait eu le tort de mécontenter, rappelée à Paris, avait une attitude sombre et résignée telle que peut être l'attitude de soldats éprouvés courant au danger sans aucune chance de succès. Ils savaient que leur faible nombre allait de nouveau avoir à lutter contre toutes les forces de l'Europe! On les voyait, rassemblés par groupes, s'entretenant avec une

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