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et sa nombreuse garnison considéraient le passage de quatre escadrons comme un très-grand danger.

En arrivant à Denain, près de la frontière, à quatre lieues de Lille, nous reçûmes l'ordre de dislocation qui faisait rentrer dans leurs régiments respectifs les quatre escadrons formant celui que je ramenais. Le mien, en raison de son numéro 1er, était appelé à faire partie de la garde provisoire du nouveau souverain Louis XVIII; ce fut donc vers Paris que je me dirigeai.

Avant de quitter Denain, j'eus le déboire de perdre mon prisonnier qui, pendant la nuit, trouva le moyen de s'échapper. J'infligeai une sévère punition au brigadier qui commandait le poste auquel sa garde était confiée. Ce brigadier, qui ne fut peut-être pas étranger à l'évasion, aurait mérité plus qu'une punition disciplinaire.

CHAPITRE X

Arrivée à Paris.

Le grade de chef d'escadron conféré par le maréchal Davoust est contesté au Ministère. Entrée dans la Garde royale. Le général de Bruslart aide de camp du duc d'Enghien. Promesse du grade de colonel. · Départ pour la Corse comme chef d'état-major. - Le général César Berthier. Ajaccio et Bastia. La flotte. Moeurs corses. Les Piétri. Galloni. Le colonel Perrin.

D'Esparbès. De Boishulan. rivel de Gonneville..

L'île d'Elbe.

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Grosson de Truc. Félix Le Ha-
Pompéi.

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. Gaffori. Le général de Bruny. Madame Cervoni. — Napoléon rentre en France sur le brick l'Inconstant.- La frégate la Fleur de Lys. — Révolution à Bastia. Le général Simon. Le colonel Casabianca et les insurgés. Trahison du colonel Figier et du 54 de ligne. lart au pouvoir de l'insurrection.

gardé par les Corses. Louis de Lanet.

La corvette l'Egérie.

- Le général de BrusOtage Dévouement de Pompéi et

de Serra. Le capitaine Clément. Le maréchal Masséna. ville de Marseille. Retour à Paris.

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Je trouvai Paris encombré de solliciteurs qui assiégeaient tous les ministères. Le maréchal Davoust, n'étant pas en faveur, fut recherché sur tous ses actes, et notamment sur les nominations qu'il avait faites dans son armée. La mienne, au grade de chef d'escadron, fut contestée, tandis que les grades de toutes sortes étaient prodigués à des gens qui ne présentaient que des droits illusoires; mais le maréchal Suchet intervint en ma faveur; je fus confirmé, et mis en pied dans mon régiment qui faisait, comme je l'ai dit, le service de la garde. Je ne devais pas y rester longtemps.

Je retrouvai à Paris le général de Bruslart, ancien

aide de camp du duc d'Enghien; il avait toujours suivi la fortune, ou plutôt les infortunes, de la maison de Bourbon, et lui avait donné de nombreuses preuves de dévouement. Chef d'état-major de l'armée royale de Normandie à l'époque des guerres civiles, il avait succédé au comte de Frotté dans le commandement de cette armée après que celui-ci, par suite d'une infâme trahison, eût été fusillé, à Verneuil, avec sept des chefs qui étaient sous ses ordres. Peu de temps après cet événement, l'armée royale ayant fait sa soumission au gouvernement, M. de Bruslart la signa, en s'en exceptant personnellement par une lettre des plus hautaines qu'il écrivit au premier consul, Bonaparte; il lui reprochait l'événement de Verneuil, dont, pour être juste, on doit peut-être faire tomber la responsabilité sur le général Chambarlhac qui dirigea et précipita les péripéties de ce drame dans l'espérance qu'on lui saurait gré d'avoir agi d'après ce principe: qu'il est des forfaits qu'un souverain adroit ne commande jamais, mais dont il profite et tient compte à celui qui les a commis. Ce calcul, s'il fut fait par le général Chambarlbac, ne lui réussit pas, car, à partir de cette époque, il disparut de la scène, ne fut point employé dans les armées actives des glorieuses campagnes qui suivirent, et finit obscurément sa carrière dans le commandement d'une division de l'intérieur, Il est donc probable qu'il fut blàmé pour le crime inutile dont il avait chargé sa conscience, et que, s'il ne fut pas complétement disgracié, c'était par égard pour son intention.

Mon père avait joué un rôle important dans la guerre de Normandie, et moi-même, quoique encore enfant, j'avais été chargé de missions que je pouvais remplir, mon âge me mettant en dehors de la surveillance exercée par les agents du gouvernement. J'étais donc particulièrement connu du général de Bruslart qui, nommé

gouverneur de la Corse, et nouvel arrivé dans l'armée, désirait avoir, entre lui et les troupes qui allaient se trouver sous ses ordres, un intermédiaire faisant depuis longtemps partie de cette armée; il me proposa de l'accompagner en qualité de chef d'état-major, emploi dévolu au grade de colonel; grade qu'il allait solliciter pour moi. Lors même que je n'aurais pas eu pour le général de Bruslart une aussi haute estime, la proposition était trop avantageuse pour être refusée; mais, outre l'intérêt de mon avancement, j'éprouvais une vive satisfaction à passer sous les ordres d'un homme dont le caractère loyal et chevaleresque m'avait inspiré un véritable enthousiasme à l'époque où je l'avais connu, bravant avec une héroïque gaieté les dangers dont il était entouré à toute minute, car sa tête avait été mise à prix.

Je n'étais pas fâché non plus de quitter mon régiment dont le nouveau colonel faisait de fort vilaines choses, en fait d'administration, profitant pour cela du peu de surveillance inhérent à un changement de gouvernement au milieu de circonstances aussi extraordinaires. J'acceptai donc, et le ministre de la guerre, auquel le grade de colonel fut demandé, ne se montra pas récalcitrant, mais il voulut me voir avant de se prononcer définitivement.

J'eus un rendez-vous avec lui et j'en fus très-bien traité. C'était le général Dupont au quartier général duquel j'avais été amené par le comte de Moltke en sortant du fort de Pillau, à l'époque où j'avais été prisonnier des Prussiens. Il m'invita à déjeuner, me plaça à côté de lui, et me parla beaucoup; il m'emmena ensuite dans son cabinet, et me dit que le grade de colonel me serait conféré dans deux mois au plus tard, mais qu'il préférait m'envoyer ma nomination quand je serais rendu en Corse, à cause des prétentions contre lesquelles il était forcé de lutter et qui pourraient s'armer de mon pré

coce avancement pour en solliciter un semblable; tandis que, lorsque je serais loin, la chose n'aurait pas de retentissement. Je crus devoir m'incliner devant des paroles bienveillantes, dites avec tant de confiance, mais j'eus tort de ne pas insister, car dans la disposition d'esprit où était le ministre, il aurait cédé, surtout si je lui avais rappelé notre première entrevue au bord de la Passarge. Or, six semaines après, il n'était plus ministre ; le maréchal Soult, qui le remplaçait, se montra très-récalcitrant à l'endroit des grades à accorder, et mon grade de colonel fut ajourné au temps que l'on verra.

L'état-major, dont je fus nommé le chef, était composé ainsi qu'il suit MM. de Lamberville, colonel; d'Esparbès et de Perrin, lieutenants-colonels; de Boishulan et Galloni, chefs de bataillon; Grosson de Truc et mon frère, Félix de Gonneville, capitaines. Mon frère, qui ne servait pas sous l'Empire, venait d'être nommé au grade de capitaine en récompense des services rendus par mon père à la cause royale. Le général de Bruslart. avait, en outre de ce que je viens de mentionner, deux aides de camp: de Beausac et Louis de Lanet. Jamais on n'avait vu en Corse un état-major aussi nombreux. Le général avait malheureusement encore à sa suite cinq ou six individus qui, lui ayant rendu des services personnels, s'étaient attachés à sa fortune, et qu'il défrayait. Parmi ceux-là, il y en eut plusieurs dont la condujte et les propos lui firent beaucoup de tort dans le pays.

Dès que je fus nommé chef d'état-major, je me livrai à l'étude de la Corse. Le service d'aide de camp m'avait initié déjà aux fonctions que j'allais avoir à remplir; le Manuel du chef d'état-major, par le général Thiébault, acheva mon éducation, et, après un mois de séjour à Toulon où nous retinrent les vents contraires, j'acquis à peu près la certitude que je pourrais me tirer d'affaire. J'avais eu la chance de trouver à Paris une carte de

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