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à la gêne sous les mots. Je dis seulement que l'habit doit être juste pour la pensée, en la laissant pourtant dans une situation libre et naturelle.

Ce n'est pas non plus qu'on veuille blâmer les orateurs qui déploient leurs idées dans les phrases périodiques, qui les répètent en partie dans l'amplification. Le petit nombre des signes s'accorde très-bien avec l'abondance de l'oraison, parce que cette abondance ne doit être que dans les idées ou dans leurs degrés. Cicéron est abondant partout; cependant il n'y a rien de trop chez lui: son expression ne distrait jamais l'esprit par son propre éclat, ni ne le surcharge inutilement par des sons d'appareil qui n'apportent rien. Il a donc la brièveté oratoire.

Voilà, ce me semble, à quoi on peut réduire les qualités logiques, sans lesquelles rien ne peut être beau dans les ouvrages de littérature. Mais, pour plaire, ce n'est point assez d'être sans défaut; il faut avoir des grâces, et c'est le goût qui les donne.

CHAPITRE III.

Qualités de Goût.

TOUT ce que les pensées et les expressions peuvent avoir d'agrément dans un discours vient du choix qu'on sait faire parmi celles qui se présentent, et de l'arrangement qu'on sait leur donner toutes les règles de l'élocution se réduisent donc à ces deux points; choisir et arranger. Commençons par le choix.

Dès qu'un sujet quelconque est proposé à l'esprit, la face sous laquelle il s'annonce produit sur-le-champ quelques idées si on en considère une autre face, ce sont encore d'autres idées. On pénètre dans l'intérieur; ce sont toujours de nouveaux biens. Chaque mouvement de l'esprit fait éclore de nouveaux germes: voilà la terre converte d'une riche moisson; mais, dans cette foule de productions, tout n'est pas le bon grain.

Il y a de ces pensées qui ne sont que des lueurs fausses, qui n'ont rien de

réel sur quoi elles s'appuient; il y en a d'inutiles, qui n'ont nul trait à l'objet qu'on se propose de rendre ; il y en a de triviales, aussi claires que l'eau, et aussi insipides; il y en a de basses, qui sont au-dessous de la dignité du sujet ; il y en a de gigantesques, qui sont audessus toutes productions qui doivent être mises au rebut.

Parmi celles qui doivent être employées, s'offrent d'abord les pensées communes, qui se présentent à tout homme d'un sens droit, et qui paraissent naître du sujet sans nul effort: c'est la couleur foncière, le tissu de l'étoffe. Ensuite viennent celles qui portent en soi quelque agrément, comme la vivacité, la force, la richesse, la hardiesse, le gracieux, la finesse, la ncblesse, etc.; car nous ne prétendons pas faire ici l'énumération complète de toutes les espèces de pensées qui ont de l'agrément.

La pensée vive est celle qui représente son objet clairement et en peu de traits; elle frappe l'esprit par sa clarté, et le frappe vite par sa brièveté : c'est un trait de lumière. Si les idées arrivent lentement et par une longue suite

de signes, la secousse momentanée ne peut avoir lieu. Ainsi, quand on dit à Médée, Que vous reste-t-il contre tant d'ennemis? Elle répond, Moi: voilà l'éclair. Il en est de même du mot d'Horace: Qu'il mourút.

La pensée forte n'a pas le même éclat que la pensée vive; mais elle s'imprime plus profondément dans l'esprit, elle y trace l'objet avec des couleurs foncées, elle l'y grave en caractères ineffaçables. Bossuet admire les pyramides des rois d'Egypte, ces édifices faits pour braver la mort et le temps; et, par un retour de sentiment, il observe que ce sont des tombeaux: cette pensée est forte. La beauté s'envole avec la jeunesse : l'idée du vol peint fortement la rapidité de la fuite.

La pensée hardie a des traits et des couleurs extraordinaires qui paraissent sortir de la règle. Quand Despréaux osa écrire. Le chagrin monte en croupe, et galope avec lui, il eut besoin d'être rassuré par des exemples et par l'approbation de ses amis. Qu'on se représente le chagrin assis derrière le cavalier, la métaphore est hardie; mais qu'on soutienne la pensée en faiTOM. IV.

PRINC. DE LITT.

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sant galoper ce personnage allégorique, c'était s'exposer à la censure.

On sent assez ce que c'est que la pensée brillante. Son éclat vient le plus souvent du choc des idées :

Qu'à son gré désormais la Fortune me joue,
On me verra dormir au branle de sa roue. Boileau.

Les secousses de la Fortune renversent les empires les plus affermis, et elles ne font que bercer le philosophe.

L'idée riche est celle qui présente à la fois non seulement l'objet, mais la manière d'être de l'objet, mais d'autres objets voisins, pour faire, par la réunion des idées, une plus grande impression: Prends ta foudre, Louis. Le seul mot foudre nous peint un dieu irrité qui va attaquer son ennemi et le réduire en poussière.

Et la scène française est en proie à Pradon. Quel homme que ce Pradon, ou plutôt quel animal féroce, qui déchire impitoyablement la scène française ¡

L'idée fine ne représente l'objet qu'en partie, pour laisser le reste à deviner. On en voit l'exemple dans cette épigramme de Maucroix :

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