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poser une pensée. Disons d'abord ce qu'une chose n'est point: l'esprit de l'auditeur se met en action, et essaie lui-même de trouver la définition. D'ailleurs une description dans ce genre sert d'ombre à l'autre qu'on prépare. « Si je venais déplorer ici la mort imprévue de quelque princesse mondai«ne, je n'aurais qu'à vous faire voir le <<< monde avec ses vanités et ses incon<< stances; cette foule de figures qui se

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présentent à nos yeux, et.qui s'éva<< nouissent cette révolution de condi«<tions et de fortunes qui commencent « et qui finissent, qui se relèvent et qui « retombent; cette vicissitude de corruptions, tantôt secrètes, tantôt visibles, qui se renouvellent; cette << suite de changemens, en nos corps « par la défaillance de la nature, en « nos âmes par l'instabilité de nos désirs; enfin ce dérangement universel <«<et continuel des choses humaines qui, tout naturel et tout désordonné qu'il semble à nos yeux, est pour<< tant l'ouvrage de la main toute-puis<< sante de Dieu et l'ordre de sa pro<< vidence.

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Mais, grâce au Seigneur, je viens

louer une princesse plus grande par sa religion que par sa nais sance (1), etc. "

Les circonstances sont d'un grand poids dans les prenves: Milon, ditesvous, a tendu des embûches à Clodius; mais considérez les circonstances où il était, dans une voiture, enveloppé d'habits embarrassans, accompagné de son épouse et de ses suivantes, etc.

Quelquefois on entasse les pensées, les faits, les circonstances; on jette le tout à la fois, comme pour accabler l'auditeur par le nombre. «< Turenne meurt tout se confond; la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix « s'éloigne, les bonnes intentions des alliés se ralentissent, le courage des « troupes est abattu par la douleur «et ranimé par la vengeance. 'tout le << camp demeure immobile (2), etc. »> « Ce lieu commun se nomme conglobata chez les Latins.

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Les antécédens et les conséquens sont les choses qui suivent ou qui précédent un fait, et qui aident à le reconnaître. Vous aviez eu des démêlés

(1) Fléchier, Or. fun. de Mme la Dauphine.

Le même, Or. fun. de M. de Turenne,

avec Clodius, vous l'aviez menacé; voilà des antécédens. Il est tué; vous disparaissez, vous vous défiez de ses amis : voilà des conséquens.

Enfin, en considérant la cause et les effets, on loue, on blâme une action, on conseille une entreprise, on en detourne. Quoi de plus grand, de plus relevé que l'action des Horaces, si on en regarde le principe? c'est un entier dévouement au salut de la patrie qui les mène au danger. L'effet qui en résulte n'est pas moins bean : c'est la gloire et la conservation de la patrie.

Tous ces aspects sont censés: intérieurs, parce qu'ils tiennent au sujet même, ou comme causes, ou comme parties, ou comme rapports, ou comme circonstances: ils sont tirés tous de la nature même, ou, comme on dit, des entrailles de la cause, ex visceribus rei. On les appelle, par cette raison, lieux intérieurs pour les distinguer des leux extérieurs, qui sont au nombre de six ; la loi, les titres, la renommée; le serment, la question, les témoins: tous moyens placés hors de la cause, et sans lesquels, en les prenant tous séparément, une cause peut subsister.

Le serment, les aveux tirés par les tourmens les témoins sont des moyens sans réplique ; ou, s'il y en a, elles sont presque les mêmes dans tous les cas. Le serment est traité de parjure; l'aveu tiré par la question est celui de la douleur plutôt que de la conscience; les témoins ont été subordonnés, corrompus, etc.

Quant à la loi et aux titres, c'est une discussion qui regarde la jurisprudence plutôt que l'éloquence.

La renommée est, selon les intérêts différens, le cri de la vérité ou du mensonge; c'est un vain bruit, ou un oracle de Dieu même.

Nous ne nous étendrons pas dayantage sur cette matière, dont on trouve les plus grands détails dans tous les livres de rhétorique. Nous avertirons seulement les jeunes orateurs de ne point trop mépriser ces secours que l'art présente au génie : souvent c'est un fil qui guide assez sûrement l'esprit dans le labyrinthe. Pourquoi, quand on a un sujet à traiter, ne se demanderait-on pas à soimême : Quelle est l'entreprise que je me propose? c'est de louer un homme.

extraordinaire. Qu'est-ce qui fait un homme extraordinaire? c'est d'avoir des vices ou des vertus au-dessus de ce qu'on voit communément parmi les hommes. Celui dont je parlerai les at-il eues? Parcourons les détails de sa vie. Ici il a montré une modération héroïque; une âme commune aurait fait le contraire : là, une prudence et une capacité admirable. Tel moyen qu'il a choisi a produit un effet qu'on n'eût osé espérer. Ainsi du reste. Ceux mêmes qui affectent de mépriser les lieux communs sont obligés d'y aller puiser; et quelquefois, sans le savoir, ils leur doivent tout ce qu'ils ont de plus beau.

Les preuves sont les moyens de rigueur pour arriver à la conviction; c'est un assaut: on entre par la brèche. Mais par les mœurs l'orateur s'insinue peu à peu; il dispose les esprits, et les soumet avec leur propre consente

ment.

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