Page images
PDF
EPUB
[graphic][merged small][merged small][merged small]
[graphic]

E rends au public ce qu'il m'a prêté : j'ay emprunté de luy la matiere de cet Ouvrage; il eft jufte que l'ayant achevé avec toute l'attention pour la verité dont je fuis capable, & qu'il merite de moy, je luy en faffe la refti

tution: il peut regarder avec loifir ce portrait que j'ay fait de luy d'aprés nature, & s'il fe connoît quelques-uns des défauts que je touche, s'en corriger. C'est l'unique fin que l'on doit fe propofer en écrivant, & le fuccés auffi que l'on doit moins fe promettre; mais comme les hommes ne Je dégoûtent point du vice, il ne faut pas auffi fe laffer de leur reprocher; ils feroient peut-être pires, s'ils ve

[ocr errors]

noient à manquer de cenfeurs ou de critiques; c'est ce qui fait que l'on prêche & que l'on écrit : l'Orateur & l'Ecrivain ne sçauroient vaincre la joye qu'ils ont d'être applaudis; mais ils devroient rougir d'eux-mêmes s'ils n'avoient cherché par leurs difcours ou par leurs écrits que des éloges; outre que l'approbation la plus feûre & la moins équivoque eft le changement de mœurs & la reformation de ceux qui les lifent ou qui les écoutent : on ne doit parler, on ne doit écrire que pour l'inftruction; & s'il arrive que l'on plaife, il ne faut pas neanmoins s'en repentir, fi cela fert à infinuer & à faire recevoir les veritez qui doivent inftruire: quand donc il s'eft glisse dans un livre quelques penfées ou quelques reflexions qui n'ont ny le feu, ny le tour, ny la vivacité des autres, bien qu'elles femblent y être admifes pour la varieté, pour délaffer l'efprit, pour le rendre plus prefent & plus attentif à ce qui va fuivre, à moins que d'ailleurs elles ne foient fenfibles, familieres, inftructives, accommodées au fimple peuple qu'il n'eft pas permis de negliger, le Lecteur peut les condamner, & l'Auteur les doit profcrire; voilà la regle: il y en a une autre, & que j'ay" interêt que l'on veuille fuivre; qui eft de ne pas perdre mon titre de veuë, & de penfer toûjours, & dans toute la lecture de cet ouvrage, que ce font les caracteres ou les mœurs de ce fiecle que je décris: car bien que je les tire fouvent de la Cour de France, & des hommes de ma nation, on ne peut pas neanmoins les reftraindre à une feule Cour ni les renfermer en un feul païs, fans que mon livre ne perde beaucoup de fon étendue de fon utilité, ne s'écarte du plan que je me fuis fait d'y peindre les hommes en general, comme des raisons qui entrent dans l'ordre des Chapitres, & dans une

certaine fuite infenfible des reflexions qui les compofent. Aprés cette précaution fi neceffaire, & dont on penetre affez les confequences, je crois pouvoir protefter contre tout chagrin, toute plainte, toute maligne interpretation, toute fausse application & toute cenfure; contre les froids plaifans & les Lecteurs mal intentionnez; il faut fçavoir lire, & enfuite fe taire, ou pouvoir rapporter ce qu'on a lû, & ny plus ny moins que ce qu'on a lû; & fi on le peut quelquefois, ce n'eft pas assez, il faut encore le vouloir faire; fans ces conditions qu'un auteur exact & fcrupuleux eft en droit d'exiger de certains efprits pour l'unique recompenfe de fon travail, je doute qu'il doive continuer d'écrire, s'il préfere du moins fa propre fatisfaction à l'utilité de plufieurs & au zele de la verité. J'avouë d'ailleurs que j'ay balancé dés l'année M.DC.LXXXX. & avant la cinquième édition, entre l'impatience de donner à mon livre plus de rondeur & une meilleure forme par de nouveaux caracteres, & la crainte de faire dire à quelques-uns, ne finiront-ils point ces Caracteres, & ne verrons-nous jamais autre chose de cet Ecrivain? Des gens fages me disoient d'une part, la matiere eft folide, utile, agreable, inépuisable, vivez longtemps, & traitez-la fans interruption pendant que vous vivrez ; que pourriez-vous faire de mieux? il n'y a point d'année que les folies des hommes ne puissent vous fournir un volume: d'autres avec beaucoup de raison me faifoient redouter les caprices de la multitude & la legereté du public, de qui j'ay neanmoins de fi grands fujets d'eftre content, & ne manquoient pas de me fuggerer que perSonne prefque depuis trente années ne lifant plus que pour lire, il faloit aux hommes pour les amufer, de nouveaux

chapitres & un nouveau titre : que cette indolence avoit rempli les boutiques & peuplé le monde depuis tout ce temps de livres froids & ennuyeux, d'un mauvais ftyle & de nulle reffource, fans regles & fans la moindre justesse, contraires aux mœurs & aux bienfeances, écrits avec précipitation, & lús de même, feulement par leur nouveauté; & que fi je ne sçavois qu'augmenter un livre raisonnable, le mieux que je pouvois faire, étoit de me repofer: je pris alors quelque chofe de ces deux avis fi oppofez, & je garday un temperament qui les rapprochoit ; je ne feignis point d'ajoûter quelques nouvelles remarques à celles qui avoient déja groffi du double la premiere édition de mon ouvrage : mais afin que le public ne fût point obligé de parcourir ce qui étoit ancien pour passer à ce qu'il y avoit de nouveau, & qu'il trouvât fous fes yeux ce qu'il avoit feulement envie de lire, je pris foin de luy défigner cette feconde augmentation par une marque particuliere: je crus auffi qu'il ne feroit pas inutile de luy diftinguer la premiere augmentation par une autre marque plus fimple, qui servît à luy montrer le progrés de mes Caracteres, & à aider fon choix dans la lecture qu'il en voudroit faire : & comme il pouvoit craindre que ce progrés n'allât à l'infini, j'ajoûtois à toutes ces exactitudes une promesse fincere de ne plus rien hazarder en ce genre. Que fi quelqu'un m'accufe d'avoir manqué à ma parole, en inferant dans les trois éditions qui ont fuivi un assez grand nombre de nouvelles remarques ; il verra du moins qu'en les confondant avec les anciennes par la fuppreffion entiere de ces differences, qui fe voyent par apoftille, j'ay moins pensé à luy faire lire rien de nouveau, qu'à laisser peut-être un ouvrage de mœurs plus complet, plus fini & plus regulier à la pofterité. Ce ne

font point au refte des maximes que j'aye voulu écrire ; elles font comme des loix dans la morale, & j'avouë que je n'ay ny assez d'autorité ny assez de genie pour faire le Legislateur : je sçay même que j'aurois peché contre l'ufage des maximes, qui veut qu'à la maniere des oracles elles foient courtes & concifes; quelques-unes de ces remarques le font, quelques autres font plus étenduës: on pense les chofes d'une maniere differente, & on les explique par un tour auffi tout different; par une sentence, par un raisonnement, par une metaphore ou quelque autre figure, par un parallele, par une fimple comparaison, par un fait tout entier, par un feul trait, par une defcription, par une peinture; de là procede la longueur ou la brièveté de mes reflexions: ceux enfin qui font des maximes veulent être crús: je confens au contraire que l'on dife de moy que je n'ay pas quelquefois bien remarqué, pourvû que l'on remarque mieux.

« PreviousContinue »