Page images
PDF
EPUB

de la langue, l'on n'y offenfe que les hommes ou que leur reputation; tous les dehors du vice y font fpecieux, mais le fond encore une fois y eft le même que dans les conditions les plus ravalées, tout le bas, tout le foible & tout l'indigne s'y trouvent: ces hommes fi grands ou par leur naissance, ou par leur faveur, ou par leurs dignitez; ces têtes fi fortes & fi habiles; ces femmes fi polies & fi fpirituelles, tous méprisent le peuple, & ils_font peuple.

Qui dit le peuple dit plus d'une chofe; c'est une vafte expreffion, & l'on s'étonneroit de voir ce qu'elle embraffe, & jufques où elle s'étend il y a le peuple qui eft opposé aux Grands, c'eft la populace & la multitude; ily a le peuple qui eft oppofé aux fages, aux habiles & aux vertueux, ce font les Grands comme les petits.

Les Grands fe gouvernent par fentiment, ames oifives fur lesquelles tout fait d'abord une vive impreffion : une chose arrive, ils en parlent trop; bien-tôt ils en parlent peu; enfuite ils n'en parlent plus, & ils n'en parleront plus action, conduite, ouvrage, évenement, tout eft oublié; ne leur demandez ny correction, ny prévoyance, ny reflexion, ny reconnoiffance, ny récompenfe.

¶ L'on fe porte aux extremitez opposées à l'égard de certains personnages; la fatyre aprés

leur mort court parmy le peuple, pendant que les voûtes des temples retentiffent de leurs éloges; ils ne méritent quelquefois ny libelles ny discours funebres, quelquefois auffi ils font dignes de tous les deux.

L'on doit fe taire fur les Puiffans; il y a prefque toûjours de la flatterie à en dire du bien; il y a du peril à en dire du mal pendant qu'ils vivent, & de la lâcheté quand ils font

morts.

DU SOUVERAIN,

OU DE LA RÉPUBLIQUE.

UAND l'on parcourt fans la prévention de fon païs toutes les formes de gouvernement, l'on ne fçait à laquelle fe tenir; il y a dans toutes le moins bon, & le moins mauvais. Ce qu'il y a de plus raifonnable & de plus feur, c'eft d'eftimer celle où l'on eft né, la meilleure de toutes, & de s'y foûmettre.

Il ne faut ny art ny fcience pour exercer la tyrannie; & la politique qui ne confifte qu'à répandre le fang eft fort bornée & de nul raffinement; elle infpire de tuer ceux dont la vie eft un obftacle à nôtre ambition; un homme né cruel fait. cela fans peine. C'eft la maniere la plus horrible & la plus groffiere de fe maintenir, ou de s'agrandir.

¶ C'eft une politique feure & ancienne dans les Republiques, que d'y laiffer le peuple s'endormir dans les fêtes, dans les fpectacles, dans

[graphic]

le luxe, dans le fafte, dans les plaifirs, dans la vanité & la molleffe; le laiffer fe remplir du vuide, & favourer la bagatelle : quelles grandes démarches ne fait-on pas au despotique par cette indulgence!

¶ Il n'y a point de patrie dans le defpotique, d'autres chofes y fuppléent, l'intereft, la gloire, le fervice du Prince.

Quand on veut changer & innover dans une Republique, c'eft moins les chofes que le temps que l'on confidere : il y a des conjonctures où l'on fent bien qu'on ne fçauroit trop attenter contre le peuple; & il y en a d'autres où il eft clair qu'on ne peut trop le ménager. Vous pouvez aujourd'huy ôter à cette Ville fes franchises, fes droits, fes privileges; mais demain ne fongez pas même à reformer fes enfeignes.

Quand le peuple eft en mouvement, on ne comprend pas par où le calme peut y rentrer; & quand il eft paifible, on ne voit pas par où le calme peut en fortir.

Il y a de certains maux dans la Republique qui y font foufferts, parce qu'ils préviennent ou empêchent de plus grands maux. Il y a d'autres maux qui font tels feulement par leur établissement, & qui étant dans leur origine un abus ou un mauvais ufage, font moins pernicieux dans leurs fuites & dans la pratique, qu'une loy plus jufte, ou une coûtume plus

raifonnable. L'on voit une espece de maux que l'on peut corriger par le changement ou la nouveauté, qui eft un mal, & fort dangereux. Il y en a d'autres cachez & enfoncez comme des ordures dans un cloaque, je veux dire enfevelis fous la honte, fous le fecret & dans l'obscurité; on ne peut les foüiller & les remüer, qu'ils n'exhalent le poison & l'infamie : les plus fages doutent quelquefois s'il eft mieux de connoître ces maux, que de les ignorer. L'on tolere quelquefois dans un Etat un affez grand mal, mais qui détourne un million de petits maux, ou d'inconveniens qui tous feroient inévitables & irremediables. Il fe trouve des maux dont chaque particulier gemit, & qui deviennent neanmoins un bien public, quoyque le public ne foit autre chofe que tous les particuliers. Il y a des maux personnels, qui concourent au bien & à l'avantage de chaque famille. Il y en a qui affligent, ruinent ou defhonorent les familles, mais qui tendent au bien & à la confervation de la machine de l'Etat & du gouvernement. D'autres maux renverfent des Etats, & fur leurs ruines en élevent de nouveaux. On en a vû enfin qui ont fappé par les fondemens de grands Empires, & qui les ont fait évanoüir de deffus la terre, pour varier & renouveller la face de l'Univers.

¶ Qu'importe à l'Etat qu'Ergafte foit riche,

« PreviousContinue »