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patrimoine qu'à le maintenir, ils le laiffoient entier à leurs heritiers, & paffoient ainfi d'une vie moderée à une mort tranquille. Ils ne difoient point, le fiecle eft dur, la mifere eft grande, l'argent eft rare; ils en avoient moins que nous, & en avoient affez, plus riches par leur œconomie & par leur modeftie que de leurs revenus & de leurs domaines : enfin l'on étoit alors penetré de cette maxime, que ce qui eft dans les Grands fplendeur, fomptuofité, magnificence, eft diffipation, folie, ineptie dans le particulier.

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¶ Un homme qui fçait la Cour, eft maître de fon gefte, de fes yeux, & de fon visage; il eft profond, impenetrable; il diffimule les mauvais Offices, foûrit à fes ennemis, contraint fon humeur, déguise fes paffions, dément fon cœur, parle, agit contre fes fentimens : tout ce grand raffinement n'eft qu'un vice, que l'on appelle fauffeté, quelquefois auffi inutile au Courtifan pour fa fortune, que la franchise, la fincerité, & la vertu.

Qui peut nommer de certaines couleurs changeantes, & qui font diverfes felon les divers jours dont on les regarde; de même qui peut définir la Cour?

Se dérober à la Cour un feul moment,

c'eft y renoncer le Courtifan qui l'a vûë le matin, la voit le foir, pour la reconnoître le lendemain; ou afin que luy-même y foit

connu.

¶ L'on eft petit à la Cour, & quelque vanité que l'on ait, on s'y trouve tel; mais le mal eft commun, & les Grands mêmes y font petits.

¶ La Province eft l'endroit d'où la Cour, comme dans fon point de vûë, paroît une chofe admirable; fi l'on s'en approche, fes agrémens diminuënt comme ceux d'une perfpective que l'on voit de trop prés.

L'on s'accoûtume difficilement à une vie qui fe passe dans une antichambre, dans des cours ou fur l'efcalier.

La Cour ne rend pas content, elle empêche qu'on ne le foit ailleurs.

Il faut qu'un honnête homme ait tâté de la Cour; il découvre en y entrant comme un nouveau monde qui luy étoit inconnu, où il voit regner également le vice & la politeffe, & où tout luy eft utile, le bon & le mauvais.

La Cour eft comme un édifice bâti de marbre, je veux dire qu'elle eft compofée d'hommes fort durs, mais fort polis.

L'on va quelquefois à la Cour pour en revenir, & se faire par là respecter du noble de fa Province, ou de fon Diocesain.

Le Brodeur & le Confifeur feroient fu

perflus & ne feroient qu'une montre inutile, fi l'on étoit modefte & fobre : les Cours feroient defertes, & les Rois prefque feuls, fi l'on étoit gueri de la vanité & de l'interêt. Les hommes veulent être efclaves quelque part, & puiser là de quoy dominer ailleurs. Il femble qu'on livre en gros aux premiers de la Cour l'air de hauteur, de fierté & commandement, afin qu'ils le diftribuënt en détail dans les Provinces ils font précisément comme on leur fait, vrais finges de la Royauté.

¶ Il n'y a rien qui enlaidisse certains Courtifans comme la presence du Prince; à peine les puis-je reconnoître à leurs visages, leurs traits font alterez, & leur contenance eft avilie les gens fiers & fuperbes font les plus défaits, car ils perdent plus du leur; celuy qui eft honnête & modefte s'y foûtient mieux, il n'a rien à reformer.

¶ L'air de Cour eft contagieux, il fe prend à V**, comme l'accent Normand à Roüen ou à Falaife; on l'entrevoit en des Fouriers, en de petits Contrôlleurs, & en des Chefs de fruiterie; l'on peut avec une portée d'efprit fort mediocre y faire de grands progrés : un homme d'un genie élevé & d'un mérite solide ne fait pas affez de cas de cette espece de talent pour faire fon capital de l'étudier & fe le rendre propre; il l'acquiert fans reflexion, & il ne penfe point à s'en défaire.

¶ N** arrive avec grand bruit, il écarte le monde, fe fait faire place, il gratte, il heurte prefque, il fe nomme : on respire, & il n'entre qu'avec la foule.

¶ Il y a dans les Cours des apparitions de gens avanturiers & hardis, d'un caractere libre & familier, qui fe produifent eux-mêmes, proteftent qu'ils ont dans leur art toute l'habileté qui manque aux autres, & qui font crûs fur leur parole. Ils profitent cependant de l'erreur publique, ou de l'amour qu'ont les hommes pour la nouveauté; ils percent la foule, & parviennent jufqu'à l'oreille du Prince, à qui le Courtifan les voit parler, pendant qu'il fe trouve heureux d'en être vû : ils ont cela de commode pour les Grands, qu'ils en font foufferts fans consequence, & congediez de même : alors ils difparoiffent tout à la fois riches & décreditez; & le monde qu'ils viennent de tromper, eft encore prêt d'être trompé par d'autres.

¶ Vous voyez des gens qui entrent fans falüer que legerement, qui marchent des épaules, & qui fe rengorgent comme une femme; ils vous interrogent fans vous regarder, ils parlent d'un ton élevé, & qui marque qu'ils fe fentent au deffus de ceux qui fe trouvent prefens; ils s'arrétent, & on les entoure; ils ont la parole, préfident au cercle, & perfiftent dans cette hauteur ridicule & contre

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