Page images
PDF
EPUB
[graphic][merged small]
[graphic]

OUT eft dit, & l'on vient trop tard depuis plus de fept mille ans qu'il y a des hommes, & qui penfent. Sur ce qui concerne les mœurs le plus beau & le meilleur eft enlevé; l'on ne fait que glaner aprés les anciens & les habiles d'entre les modernes.

Il faut chercher feulement à penfer & à parler jufte, fans vouloir amener les autres à nôtre goût & à nos fentimens; c'eft une trop grande entreprise,

¶ C'eft un métier que de faire un livre comme de faire une pendule; il faut plus que de l'efprit pour être auteur. Un Magistrat alloit par fon mérite à la premiere dignité, il étoit homme délié & pratique dans les affaires;

il a fait imprimer un ouvrage moral qui eft rare par le ridicule.

Il n'eft pas fi aifé de fe faire un nom par un ouvrage parfait, que d'en faire valoir un mediocre par le nom qu'on s'eft déja acquis.

Un ouvrage fatyrique ou qui contient des faits, qui eft donné en feuilles fous le manteau aux conditions d'être rendu de même, s'il eft mediocre, paffe pour merveilleux; l'impreffion eft l'écüeil.

Si l'on ôte de beaucoup d'ouvrages de Morale l'Avertiffement au Lecteur, l'Epître Dedicatoire, la Preface, la Table, les Approbations, il reste à peine affez de pages pour mériter le nom de livre.

Il y a de certaines chofes dont la mediocrité eft infupportable, la Poëfie, la Mufique, la Peinture, le Difcours public.

Quel fupplice que celuy d'entendre declamer pompeusement un froid discours, ou prononcer de mediocres vers avec toute l'emphase d'un mauvais Poëte!

Certains Poëtes font fujets dans le Dramatique à de longues fuites de vers pompeux, qui femblent forts, élevez, & remplis de grands fentimens; le peuple écoute avidement les yeux élevez & la bouche ouverte, croit que cela luy plaît, & à mesure qu'il y comprend moins, l'admire davantage, il n'a pas le temps de refpirer, il a à peine celuy de fe recrier &

d'applaudir : j'ay crû autrefois & dans ma premiere jeuneffe que ces endroits étoient clairs & intelligibles pour les Acteurs, pour le Parterre & l'Amphitheatre; que leurs Auteurs s'entendoient eux-mêmes; & qu'avec toute l'attention que je donnois à leur recit, j'avois tort de n'y rien entendre je fuis détrompé.

¶ L'on n'a gueres vû jusques à present un chef-d'œuvre d'efprit qui foit l'ouvrage de plufieurs Homere a fait l'Iliade, Virgile l'Eneïde, Tite-Live fes Decades, & l'Orateur romain fes Oraisons.

¶ Il y a dans l'art un point de perfection. comme de bonté ou de maturité dans la nature, celuy qui le fent & qui l'aime a le goût parfait; celuy qui ne le fent pas, & qui aime en deçà ou au delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon & un mauvais goût, & l'on difpute des goûts avec fondement.

¶ Il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmi les hommes; ou, pour mieux dire, y a peu d'hommes dont l'efprit foit accompagné d'un goût feur & d'une critique judicieuse.

il

La vie des Heros a enrichi l'Hiftoire, & l'Hiftoire a embelli les actions des Heros : ainfi je ne fçay qui font plus redevables, ou ceux qui ont écrit l'Hiftoire, à ceux qui leur en ont fourni une fi noble matiere;

ou ces grands Hommes à leurs Historiens. Amas d'épithetes, mauvaises loüanges; ce font les faits qui loüent, & la maniere de les raconter.

Tout l'efprit d'un Auteur confiste à bien définir & à bien peindre. Moïse 1, HOMERE, PLATON, VIRGILE, HORACE ne font au deffus des autres Ecrivains que par leurs expreffions & par leurs images: il faut exprimer le vray pour écrire naturellement, fortement, délicatement.

¶ On a dû faire du ftile ce qu'on a fait de l'Architecture; on a entierement abandonné l'ordre Gothique que la Barbarie avoit introduit pour les Palais & pour les Temples; on a rappellé le Dorique, l'Ionique & le Corinthien ce qu'on ne voyoit plus que dans les ruines de l'ancienne Rome & de la vieille Grece, devenu moderne, éclate dans nos Portiques & dans nos Periftilles. De même on ne fçauroit en écrivant rencontrer le parfait, & s'il fe peut, furpaffer les anciens que par leur imitation.

Combien de fiecles fe font écoulez avant que les hommes dans les fciences & dans les arts ayent pû revenir au goût des Anciens, & reprendre enfin le fimple & le naturel.

1. Quand mefme on ne le confidere que comme un homme qui a écrit.

« PreviousContinue »